Il y a 20 ans, Qiu Ju, une femme chinoise a confirmé un cinéma chinois s’intéressant à la société sans hésiter à la sectionner avec des nouveaux outils et une esthétique propre. Aujourd’hui, ce film n’a en rien perdu de son importance et sa sortie en DVD par Films sans Frontières est une opportunité de le (re)découvrir avec un nouveau regard. Par Alexandra Bobolina.
Qiu Ju, une femme chinoise est conçu alors que son réalisateur Zhang Yimou a déjà fait sa place dans le cinéma d’auteur chinois avec les succès critiques de Le Sorgho rouge (1987) et Epouses et Concubines (1991). Collègue de Chan Kaige, il fait partie d’une première vague de cinéastes chinois, sortis de la toute nouvelle Académie du Cinéma de Pékin. Le film est primé d’un Lion d’or et Gong Li, dans le rôle principal, reçoit le prix de meilleure actrice de la Mostra de Venise. Le titre original (littéralement Qiu Ju va à la Cour) met l’accent sur la figure centrale de GongLi mais le choix du titre en français donne de la visibilité à un côté concret du film. Le caractère fort et déterminé de la protagoniste devient une illustration commune de « la femme chinoise ».
Après que le mari de Qiu Ju ait été humilié et frappé par le chef du village, pour la jeune femme enceinte commence une épopée à travers les procédures judiciaires. Elle ne se résignera pas à la compensation matérielle et voudra une excuse, tout simplement. Lors de son chemin vers la justice, le film suit deux axes : d’une part le regard ethnologique, de l’autre : la femme. Tout ce qui lui appartient dans ce rôle semble incultivable et brut : de son comportement aux piments dont elle et son mari survivent. Et pourtant, elle est porteuse de tout ce qui est tendre et délicat dans sa situation d’épouse et de future mère. C’est dans les détails qu’elle révèle sa sensibilité et tendresse. Quand dans la ville inconnue, Qiu Ju retrouve sa belle-sœur qui s’est échappée avec les dons pour un représentant de la loi, une scène émouvante montre l’affection inconditionnée de la sœur ainée. La volonté de justice et non celle de vengeance devrait se graver dans la mémoire du spectateur et rien n’entachera le respect réciproque entre la protagoniste et les autres parties de la dispute. Gong Li construit un personnage complexe sans pour autant sortir de la discrétion et de la simplicité du monde auquel elle est attachée. Elle est une image commune des valeurs sociales, telles que l’honnêteté ou l’intégrité.
Les aventures de Qiu Ju sont l’occasion pour le réalisateur d’alterner les deux mondes parallèles de la Chine des années 80 et de toujours : celui rural et l’autre, de la grande ville. La réalité paysanne jusqu’à cette époque a toujours un rôle politique et de propagande dans le cinéma chinois. Zhang Yimou la montre de manière plus objective et presque critique. Autant la bureaucratie chinoise est montrée peu efficace, autant le manque d’éducation de Qiu Ju la poursuit comme un handicap insurmontable. Certaines prise de vues sont faites avec des caméras cachées, ce qui donne à la pellicule une valeur documentaliste. Ce naturalisme dans les scènes familiales ainsi que celles de la ville vaut au film des comparaisons avec le néoréalisme italien. Ce que le réalisateur veut effectivement montrer est le quotidien, jusque-là toujours caché sous beaucoup de maquillage.
La simplicité n’empêche pas de retrouver le soin, très important dans le cinéma de Zhang Yimou, pour le cadrage et les couleurs. La musique aussi évoque ses précédents films avec des motifs de l’opéra et de la musique traditionnelle chinoise. Elle devient ainsi une partie intégrante du récit et de la charge émotionnelle.
Un document et une œuvre d’art, Qiu Ju, une femme chinoise est à voir, tout simplement.
Alexandra Bobolina.
Verdict :
Qiu Ju, une femme chinoise de Zhang Yimou, disponible en DVD, édité par Films sans frontières, depuis le 17/05/2012.