Dernier jour à Deauville, avec la présentation d’Himizu, un retour sur le coréen de la section Action Asia et l’indispensable bilan.
Réflexions inspirées par Himizu
Himizu de Sono Sion par Victor Lopez.
À quoi aspirent les personnages de Sono Sion ? Au milieu des débris laissés par le tsunami et le tremblement de terre de mars 2011, qui entrent en résonance de manière frappante avec les thèmes du manga à l’origine du film, c’est de normalité que rêve Sumida, héros lunaire qui va apprendre à se révolter contre la folie d’un monde qui laisse à sa jeunesse vacillante des miettes d’une humanité détruite par l’Apocalypse. Tel un Pierrot le fou maquillé par Wakamatsu, il échange la peinture de guerre bleue du héros godardien pour la boue d’un pays détruit et de la peinture multicolore, qui illumine son visage de passion et de révolte.
C’est lui le Himizu, la taupe, du titre. Mais il ne se cache pas sous terre pour vivre tranquillement à l’abri de la fureur du monde, il va chercher dans cette terre la rage et l’énergie suffisante pour la retourner contre la folie qui l’entoure. C’est un revigorant parcours que l’on entame alors, de la terre dévastée par le cataclysme bercé par un Requiem de Mozart de sombre augure, au message d’espoir qui scande les dernières minutes. L’horreur de la traversée ne nuit pas à l’optimisme généré par cette quête. Et pourtant, au milieu des cris théâtraux et excessifs, l’envie d’abandonner en cours de route passe parfois en tête du spectateur effaré.
Mais comme Sumida, il tient bon, guidé par la main tantôt ferme, tantôt laxiste de Sono Sion, qui ne le lâche pas, même si au final, il a l’impression d’être seul devant la brutalité du film. Le héros, lui, a moins de chance. Image d’une jeunesse sacrifiée par ses pères et refusant le réconfort de ses pairs, il n’a d’autre choix que de mordre la main qui tient le bâton, et de répondre par la violence à celles tendues.
Quand à la normalité ? Elle n’est pas oubliée en cours de route, mais apparait, comme d’ordinaire chez le cinéaste, comme un engagement contre le monde, soit tout le contraire de l’acceptation du conformisme que l’on met généralement derrière ce mot.
Victor Lopez.
Pour le verdict, voir les avis à « Chaw »
Bowfight
War Of The Arrows de Kim Han-Min par Yannik Vanesse.
La sélection Action Asia du Festival de Deauville recelait quelques perles méritant grandement le coup d’œil, et d’autres beaucoup moins. Après Seediq Bale, À quelle catégorie appartient donc l’autre fresque guerrière présente, War Of The Arrows ?
Le film possède plusieurs similitudes avec Warriors Of The Rainbow, l’autre fresque historique de cette sélection. En effet, dans les deux cas, l’histoire est celle d’une invasion et de la résistance des autochtones. War Of The Arrows s’intéresse à l’invasion de la Corée par les Mandchous. Mais, avant cela, dans un prologue dantesque, nous aurons découvert le héros, encore enfant, fuir les meurtriers de ses parents en compagnie de sa sœur. Quelques scènes brutales et plusieurs meurtres à l’arc (d’entrée de jeu, cette arme est privilégiée) suscitent immédiatement l’intérêt.
Passé ce prologue passionnant, le métrage fait un bon en avant et se calme, le temps de brosser le portrait des différents personnages devenus adultes. Il rajoute dans la foulée un peu d’humour, plutôt embarrassant il faut bien l’admettre (la scène où le héros, complètement saoul, vomit sur son rival est ainsi plutôt limite). Ces moments peuvent paraître un peu longs, mais sont évidemment nécessaires pour comprendre les protagonistes et découvrir leur personnalité – le héros est ainsi plutôt détestable…
Après ces scènes d’exposition – un peu moins d’une heure – le film est une succession de moments de bravoure, originaux et intelligents. Les Mandchous attaquent, donc, et enlèvent la sœur du personnage principal, qui va user de son arc pour la délivrer… War Of The Arrows nous offre ainsi de magnifiques embuscades plutôt sanglantes et, surtout, plusieurs combats d’archers, une petite troupe d’élite se lançant à sa poursuite. Les protagonistes se livrent ainsi à des calculs, se dissimulent, tendent des pièges… Les scènes sont crédibles, souvent hallucinantes, très bien faites, la seule fausse note survenant au moment de l’attaque d’un tigre en images de synthèse abominablement laid… Si la séquence est intéressante et plutôt barbare, voir cette pauvre bête si mal animée la décrédibilise. Dommage…
Kim Han-Min, dont il s’agit du troisième film, a choisi un parti pris intéressant. Son héros n’est pas très charismatique et nous est présenté, au départ, comme quelqu’un d’assez mesquin. Le chef de la troupe d’élite mandchou, au contraire, est phénoménal ! Charismatique et barbare, il dévore l’écran chaque fois qu’il y apparaît… Autant dire que le duel que se livrent ces deux personnages est magnifique, et plutôt long, au cours d’un cache-cache dans les bois ou les champs presque parfaits. La tension ne diminue ainsi jamais, l’originalité est souvent de mise et, grâce à ces combats d’archers, le réalisateur nous offre finalement un spectacle assez proche d’un polar hongkongais où les arcs auraient remplacé les flingues. L’ombre de John Woo plane ainsi souvent sur War Of The Arrows, jusqu’à un final ressemblant beaucoup à celui d’À toute épreuve… Hélas, ici se trouve l’autre fausse note du film, les effets spéciaux étant encore une fois un peu ratés (sans atteindre le niveau du tigre, cela dit). La scène perd certes un peu en crédibilité et en intensité, mais il ne faudrait pas bouder son plaisir pour autant, car cette fresque guerrière, pleine de bruits, de sang et de fureur, est passionnante d’un bout à l’autre. Et deux fausses notes sur une partition d’une telle intensité, ce n’est finalement pas grand-chose !
War Of The Arrows est original, intense et passionnant. Un métrage à voir et à revoir !
Verdict :
Yannik Vanesse.
Bilan de Deauville
Le festival de Deauville s’achevant, il est temps de revenir un peu sur ce qui s’y est passé. Après y avoir vu un grand nombre de films projetés, attardons-nous un peu sur les différentes catégories.
Tout d’abord, Kurosawa Kiyoshi reçut, lors d’une soirée consacrée au Japon, un prix et un joli hommage. Le choix de continuer la soirée en diffusant I Wish de Kore-eda laisse perplexe, car un film du réalisateur félicité aurait été bien plus logique. Le fait de revenir ainsi sur la carrière d’un auteur aussi important que Kurosawa est cependant bienvenu. En effet, Kurosawa Kiyoshi fut pour beaucoup l’homme qui permit de découvrir l’horreur venant du Japon. Votre humble serviteur se rappelle encore l’émotion et la surprise de sa découverte de Cure, premier pas dans la filmographie du maître. Pour le mettre à l’honneur, plusieurs de ses films furent diffusés. Dommage que les dits métrages aient été projetés lors de la première journée en même temps qu’un certain nombre des films en compétition. Les films choisis nous laissèrent sur notre faim puisqu’il s’agissait de ses œuvres les plus connues, comme Cure, justement, Kaïro, Charisma, Tokyo Sonata ou quelques autres. Cependant, le plaisir de redécouvrir ces films sur grand écran ne fut pas négligeable.
L’autre rétrospective fut le regard sur Pen-ek Ratanaruang. Trois films, c’est évidemment un peu court, mais cette rétrospective nous a permis de découvrir Vagues Invisibles, véritable chef-d’œuvre lynchien disponible en DVD. Mais surtout était projeté Headshot, son nouveau film. Un peu décevant il est vrai, mais intéressant. Cependant, il aurait été agréable que Pen-ek Ratanaruang soit présent, comme annoncé.
De son côté, la compétition officielle réunissait le meilleur comme le pire. Certains films ont ainsi laissé un mauvais goût dans la bouche, de par leur côté ennuyeux, raté, et c’est souvent tristement que l’on se penche sur I Carried Your Home ou encore Baby Factory (qui, inexplicablement, reçut le prix spécial du jury), des films forts, prometteurs, mais qui se vautrent joyeusement dans le ridicule et l’ennui. À côté de cela, il y eut des films magnifiques. Death is my profession, coup de cœur de la team East Asia, permit de découvrir le prometteur cinéma iranien, souvent peu représenté, accompagné de l’intéressant, bien qu’un peu long, Mourning, prix du meilleur film de ce quatorzième festival. Himizu, le nouveau film de Sono Sion, ne démérite pas dans sa magnifique filmographie et passionne, étreint, dérange. Le métrage malmène son spectateur et nous fait halluciner avec son duo de jeunes acteurs habités par leur rôle. Beautiful Miss Jin, de son côté, permet de passer un joli moment rafraîchissant mais n’apporte rien, ne dit finalement pas grand-chose. Saya Zamurai aura, de son côté, divisé l’équipe comme peu de films du festival. Certains, dont je fais parti, adorant cet humour burlesque et ces gags délicieux, d’autres restant perplexes devant ce qui s’est offert à leur regard. Le réalisateur du film, Matsumoto Hitoshi, était d’ailleurs à Deauville, et l’équipe put le rencontrer lors d’une interview certes promotionnelle mais intéressante. Jean-Pierre Limosin, membre du jury, nous a lui aussi offert une interview, particulièrement passionnante de surcroît.
Hors compétition, nous avons donc pu découvrir I Wish au moment de la soirée sur le Japon, une œuvre mignonne et gentillette, bien que trop longue, et Pink, un… machin, il n’y a pas d’autres mots, sans doute le pire film de ce festival.
Si le jury Action Asia est la plus grosse farce du festival, sa programmation, elle, ne l’est pas. Rien qu’avec la bombe The Raid, cette sélection fascine, passionne, ravage tout sur son passage. Certes, le reste est plus sage, mais quelle importance ? The Raid, avec son statut de film d’action ultime, mérite à lui seul la palme du film d’action dans toute sa splendeur. Bien évidemment, avec un tel jury, il aurait été surprenant que le prix Action Asia lui soit décerné. Sorti de cette pépite, ici aussi le pire et le meilleur se côtoient. Le pire, c’est The Sword Identity, un film ennuyeux où les combats se déroulent hors champs et empli d’un ridicule embarrassant. Dommage, car le début était prometteur… Cette sélection est aussi dotée de deux fresques épiques d’exception.
La Corée nous offre ainsi l’imparfait mais passionnant War Of The Arrows tandis que Taïwan nous permet de découvrir la version internationale de Warriors Of The Rainbow : Seediq Bale. Il s’agit de mon autre coup de cœur, une fresque howardienne passionnante d’un bout à l’autre par ses thématiques, ses acteurs et son action. Vite, la version intégrale de quatre heures ! Les deux wu xia pian, le bien nommé Wu Xia et The Sorcerer And The White Snake, méritent le détour. Le premier, prix Action Asia de cette année, est porté par Donnie Yen et ses chorégraphies magnifiques, ainsi que par son plaisant côté enquête abracadabrante. Et le deuxième est un conte de fée plein de fureur et de merveilleux, qui passionne facilement. Malgré leurs scories respectives, ces métrages méritent grandement le détour. Dommage cependant qu’aucun des réalisateurs d’un film Action Asia n’ait été présent, mais je suis assez content que l’homme derrière The Sword Identity se soit finalement décommandé, tant son film ne mérite pas le détour. Cependant, l’homme aurait sans doute eu plein de choses à raconter.
Yannik Vanesse.
À lire également :
Carnet de Deauville : jour 1, ouverture (The Sun-Beaten Path)
Carnet de Deauville, jour 2 : Death is my Profession, Seediq Bale, Saya Samourai
Carnet de Deauville, jour 3 : The Sorcerer and the White Snake, Mourning,The Sword Identity
Carnet de Deauville, jour 4 : The Raid, Headshot, I Carried you Home
Carnet de Deauville, jour 5 : Himizu, War Of The Arrows, Bilan