VIDEO – The Island de Leong Po-chih

Posté le 3 novembre 2025 par

Sorti à Hong Kong en 1985, The Island est un récit de survival horrifique, produit en plein âge d’or du cinéma hongkongais. Il fait partie de l’un des deux films du britannico-hongkongais Leong Po-chih à ressortir en Blu-ray sous nos latitudes chez Carlotta Films en ce mois d’octobre, après avoir été projeté à L’Étrange Festival en septembre. Film par Thibaut Das Neves ; Bonus par Maxime Bauer.

 

Cette île isolée était supposée être déserte ! Mais le voyage de M. Cheung avec ses étudiants va tourner au cauchemar lorsqu’il découvre ses dangereux habitants : trois frères psychopathes et une maman démente formant une sympathique famille unie dans le crime.

The Island est un film d’horreur typique de son époque : des vacances scolaires, un endroit isolé du monde et des méchants sanguinaires qui, comme annoncé peu subtilement dans l’introduction, ne vont pas se retenir s’il faut s’adonner à un jeu de massacre. La bizarrerie du film tient aux ambitions du cinéaste qui inscrit son métrage dans un temps, celui du slasher américain des années 1980, de manière anachronique : au slasher des années 1980, il ajoute des éléments de son passé matriciel (le survival américain horrifique). Le mélange sur le papier est intéressant, tandis que la démarche du cinéaste pourrait même sembler avoir plusieurs décennies d’avance sur l’industrie américaine. Et dans la continuité de cette démarche qui précède presque à la relecture comico-horrifique du genre par Wes Craven, Leong Po-chih s’inscrit véritablement dans la tradition la plus commerciale et à l’origine de l’essoufflement du genre : The Island est très clairement dans la lignée de Vendredi 13. Dans The Island, il n’y a pas de personnages, que des archétypes : les méchants sont très méchants, les ados (comme l’unique adulte) ne sont que de la chair à canon insupportable et naïve livrée aux antagonistes pour le plaisir aussi bien sadique que masochiste du spectateur. La limite de sa démarche vient plutôt au fait que le cinéaste décide de convoquer aussi bien des codes arrivés à leur péremption, que des codes bien plus intéressants et qui ont donné lieu à de nombreux chefs-d’œuvre (en ajoutant notamment une forte dose de grotesque inquiétant et mystique, rappelant aussi bien Massacre à la Tronçonneuse que The Wicker Man). Malheureusement, le carnavalesque hystérique ne vient pas faire contrepoint au slasher désabusé et purement fonctionnel, les deux sont relégués sur le même plan et le film s’apparente finalement, au fur et à mesure, bien plus à une reproduction de cet essoufflement qu’à un réel vent de fraicheur.

Pourtant, il y a véritablement un pressentiment quasiment avant-gardiste dans le geste de Leong Po-chih : on sent que le cinéaste a conscience de ce qu’il fait ici, qu’il convoque ici sciemment des codes afin de jouer avec son spectateur abreuvé par ces stéréotypes archétypaux (lorsque The Island sort en 1985, le genre est déjà bien essoufflé et même les plus grandes sagas partent définitivement en roue libre). Mais d’un autre côté, le cinéaste fait de son film un pot-pourri d’influences aux ambitions drastiquement opposées, ce qui enlise la possibilité de jouer avec le spectateur : le premier degré tout à fait sérieux se heurte aux excès grotesques et, entre les deux, existe des moments à la lisière du nanar, où on ne sait plus bien où se trouvent les ambitions du cinéaste et où se trouvent ses échecs. Et finalement, de cette ambition, le cinéaste ne garde qu’un thriller respectant scrupuleusement les règles.

The Island reste tout de même une sacrée étrangeté en pressentant – possiblement involontairement – la direction que prendra le slasher aux États-Unis, des années plus tard, afin de réinjecter de l’intérêt à son cinéma horrifique. Sans réussir à concrétiser ses ambitions et en délivrant finalement un thriller horrifique assez moyen – au moins dans Vendredi 13 la mise à mort est une attraction ponctuelle qui viendra satisfaire les pulsions morbides du spectateur – The Island est aussi un témoin assez représentatif de son époque. Il est à la fois atypique dans sa conscience d’une formule horrifique surannée et tout à fait typique et banal dans son statut de production horrifique des années 1980. Il est aussi une relecture profondément hongkongaise d’un pan très américain du cinéma, ce qui aujourd’hui relativise grandement l’aspect très banal du film. Mais surtout, The Island est une étrangeté hautement dysfonctionnelle qui, par ses défauts aussi nombreux que ses ambitions, est un visionnage plutôt agréable qui plaira aussi bien aux nostalgiques, qu’aux chercheurs de nanars ou bien tout simplement aux spectateurs curieux.

BONUS

Interview de Leong Po-chih sur les genres de cinéma (archive de Frédéric Ambroisine, 2023, 20 min). Entretien également filmé au Far East Film Festival d’Udine en 2023, Leong en dit plus sur ce que c’est que de faire des films en tous genres à Hong Kong ; de la comédie, de l’horreur, des récits historiques… Tony Rayns, dans ses interventions, a énoncé avec insistance que Leong n’est pas un auteur et qu’il cherche à explorer différents types de cinéma. Frédéric Ambroisine l’interroge ici précisément sur cet aspect de son profil, qui est loin d’être unique dans le cinéma hongkongais.

Conférence au Far East Film Festival avec Leong Po-chih (2023, 22 min). Le réalisateur britannique s’attarde en particulier sur le tournage de The Island avec quelques anecdotes. Il explique par exemple que le film est une métaphore des courants rural et urbain qui traversent l’identité hongkongaise. Quelques questions lui sont posées sur Jumping Ash, son premier film qu’il coréalise avec l’actrice Josephine Siao et qui fut un succès au box-office, malgré le refus de nombreuses sociétés de production de le financer.

The Island par Tony Rayns (16 min). Le commentateur britannique apporte quelques éléments supplémentaires sur les carrières de Leong et de l’acteur John Sham, notamment son profil de rédacteur en chef d’un magazine branché à Hong Kong dans les années 1980. Surtout, il essaie d’expliquer dans quelle veine du cinéma des années 80 se situe The Island, tant dans la force de ses visuels que son absence réelle d’intention.

The Island de Leong Po-chih. Hong Kong. 1985. Disponible en Blu-ray chez Carlotta Films le 21/10/2025