MCJP – April Story d’Iwai Shunji

Posté le 10 juillet 2025 par

La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective à Iwai Shunji, réalisateur japonais majeur des 30 dernières années et influence majeure de la pop culture asiatique. Retour sur April Story, merveille de récit d’apprentissage dont la modestie apparente dissimule un propos aussi profond que charmant.

Uzuki quitte Hokkaido pour intégrer une prestigieuse université à Tokyo : jeune femme réservée par nature, Uzuki va néanmoins tenter de s’intégrer au monde étudiant, et à la vie quotidienne tokyoïte en général. Pour cela elle dispose d’un atout de choc et de charme : un sourire irrésistible, distillant bonne humeur et rayons de soleil… même sous les pluies les plus difficiles.

Iwai Shunji avait enchanté avec l’univers singulier, envoutant et enchanteur de ses premiers films. Cependant, pour imposer sa patte, il devait passer par une forme de grandiloquence, que ce soit à travers la trame alambiquée de l’inaugural Love Letter (1995), le postulat extravagant de Picnic (1996) ou la fresque ambitieuse de Swallowtail Butterfly (1996). Avec April Story, Iwai trouve à son tour la formule magique du Chungking Express de Wong Kar-wai, celle du récit modeste et épuré au charme infectieux qui dissimule brillamment sa profondeur.

Le postulat est des plus simples : la jeune Uzuki (Matsu Takako) quitte son Hokkaido natal pour Tokyo où elle doit intégrer une prestigieuse université. On suit donc toutes les étapes de cette nouvelle vie, le déménagement puis l’installation dans l’appartement étudiant, les premiers pas hésitants dans la vie universitaire, la découverte du quotidien tokyoïte. La réalité des situations rencontrées trouve un contrepoint dans l’atmosphère éthérée qu’Iwai confère au récit. La photo de Shinoda Noboru nous baigne dans un voile diaphane aux couleurs pastel qui fait des instants les plus banals un pur rêve éveillé : une balade à vélo dominicale, la flânerie dans une librairie. Les volutes de piano de la bande-son participent à cet équilibre délicat entre ravissement et mélancolie sur fond de cerisiers en fleurs printaniers. La tonalité flottante n’adoucit cependant pas les difficultés de ce nouveau cadre à apprivoiser, cette université immense dans laquelle il faut se situer tant géographiquement que dans son rapport aux autres.

Une scène de présentation place l’introvertie Uzuki face aux regards et moqueries amicales des autres, les amitiés superficielles sont capturées avec subtilité lorsque notre héroïne intégrera le club de pêche. Le spleen urbain ordinaire se ressent aussi avec brio, dans les liens que l’on cherche à nouer (les scènes avec la voisine) et ceux que l’on cherche à éviter lors d’une fâcheuse rencontre dans une salle de cinéma. Quiconque a connu le déracinement de sa région pour poursuivre ses études dans « la grande ville » ressent avec une rare empathie les premiers pas hésitants d’Uzuki. Matsu Takako, pratiquement de tous les plans, nimbe de sa présence lumineuse et fragile le film. Iwai Shunji saisit avec pudeur le moindre sourire gêné, la gestuelle gauche et les regards fuyants de la jeune fille dans lesquels se reconnaîtront tous les grands timides – là aussi difficile de ne pas penser à la Faye Wong de Chungking Express en plus introvertie.

La candeur d’Uzuki émeut et trouble, la mélancolie et le ravissement se disputant lors des deux séquences où elle cherche à nouer contact avec sa voisine. Se heurtant à une politesse froide la première fois, Uzuki sort du cadre en plan fixe pour laisser l’image du palier vide qui renvoie à cette distance des relations sociales en ville. La seconde tentative montre une bascule lorsque la voisine décide de répondre à l’invitation, les teintes ternes de l’appartement d’Uzuki laissent place à une gamme chromatique plus délicatement chaleureuse pour accompagner le ravissement du sourire d’Uzuki enfin en bonne compagnie.

Cette tonalité de simple tranche de vie est déjà un enchantement en soi, même si le film semble dénué de vrai fil narratif. Mais il suffira d’une question pour tout faire basculer. « Avais-tu un petit ami dans ta région ?« . Tout le contour cotonneux et fragile du film n’était pas là pour nous immerger dans un rêve, mais à la poursuite d’un rêve. Un rebondissement jette une nouvelle perspective à certains des éléments les plus insignifiants qui ont précédé comme la fréquentation assidue de cette libraire et des renseignements qu’y demande Uzuki. Love Letter nous invitait à garder le précieux souvenir des amours adolescentes, mais aussi à savoir s’en détacher.

April Story en reste à l’émerveillement des premiers pas amoureux (avril, mois de rentrée scolaire au Japon signifiant ce renouveau) et autorise à s’y raccrocher encore. Quand les moments ensoleillés accentuaient la solitude d’Uzuki, la merveilleuse scène d’averse finale la lie enfin à cette ville, mais aussi et surtout à sa quête. Un petit bijou qui en raconte concrètement peu, mais qui en dit tant, chef d’œuvre !

Justin Kwedi

April Story d’Iwai Shunji. Japon. 1998. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris.