A 26 ans, Danzuka Yuiga était à Cannes pour présenter son premier long-métrage à la Quinzaine des cinéastes, le lumineux Brand New Landscape. Dans cet entretien, nous avons pu le questionner sur ses inspirations, le regard qu’il porte sur Tokyo, qui est sa ville natale et un personnage central de son film, ainsi que sa façon de tourner.
Brand New Lanscape est votre premier long-métrage, pouvez-vous nous parler de votre parcours ou vos études qui vous ont mené à le réaliser ?
À 20 ans, j’ai intégré l’école de cinéma de Tokyo, qui se situe en-dessous d’une salle de cinéma mythique. J’y ai étudié pendant un an. Deux ou trois ans après ça, j’ai réalisé un court-métrage intitulé Far Far Away qui a été distribué par le gouvernement et produit par SIGLO. Quand j’ai écrit le scénario de ce long-métrage, je l’ai apporté à la même production et c’est ainsi que Brand New Landscape a vu le jour.
Votre long est-il adapté de ce court-métrage ?
On y retrouve des points communs mais ce n’est pas la même histoire.
Lors de la session de Q&A, vous avez déclaré que l’une de vos motivations pour ce film est le malaise que vous ressentez à la fois vis-à-vis de la famille et vis-à-vis de la ville. Malgré cela, on sent que vous aimez cette ville et que vous avez un rapport chaleureux à la famille. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette ambivalence ?
Je ressens en effet la même chose, à la fois pour la ville et la famille. Je suis originaire de Tokyo et j’y ai longtemps vécu ; j’ai de même passé un bout de ma vie avec ma famille. J’ai un attachement pour l’un et l’autre grâce au temps passé ensemble. Mais les deux n’évoluent pas comme je l’aurais pensé et souhaité, ce qui leur font un autre point commun. Le malaise et l’affection cohabitent, c’est de là que vient ce côté ambivalent.
En commençant votre film, on peut avoir l’impression d’être dans une forme de parenté avec des films d’auteurs asiatiques tels que ceux de Hou Hsiao-hsien. Mais Hou Hsiao-hsien par exemple, ne verse jamais dans l’humour ou le fantastique. Vous parvenez à faire cohabiter ces éléments, ce qui correspond à cette impression d’ambivalence. Est-ce important de faire vivre ces différentes facettes dans un film ?
Jusqu’à l’apparition du fantôme, en effet, le film ressemble à un drame familial, avec des éléments assez sombres. Je voulais faire souffler le vent pour changer d’ambiance, et j’ai ainsi inséré un peu d’humour, à la façon d’Edward Yang. C’est sans doute cela qui fait apparaître une ambiance un peu particulière.
Les prises de vues de Tokyo sont réalisées avec soin, et cela rappelle une approche photographique. Il y a beaucoup de communautés de photographes de Tokyo sur les réseaux sociaux, qu’ils soient japonais ou étrangers. Avez-vous un intérêt particulier pour la photographie ?
En effet, de nombreuses photos de Tokyo, qui est une énorme ville, sont prises par énormément de gens. Prendre des photos, pour moi, c’est « consommer ». Dans le film, on peut voir une sorte de collage de photographies. En fin de compte, on consomme cette ville qui change à toute vitesse.
Vous portraiturez le personnage du père avec une certaine distance, sans jugement. Avez-vous aussi cette distance vis-à-vis de cette idée de consommation de la ville, ou bien la considérez-vous comme négative ?
C’est comme la sensation de malaise dont nous parlions. Pour moi ce regard objectif est important. Le personnage qui vient dans la ville et observe le père est comme une caméra, comme s’il filmait. Il prend une distance et regarde avec un œil critique. Ce personnage qui épie est d’ailleurs lui-même scruté par la caméra de la réalisation du film. Il y a 2 étapes : le personnage qui regarde de manière objective et la caméra qui le filme de manière objective. La caméra est une sorte de dieu ! Et c’est pour cela qu’un fantôme apparaît.
Vous avez déclaré que dans votre film, la nouvelle génération est en confrontation avec l’ancienne. Même si ce conflit aboutit à une guérison, est-ce inévitable ?
C’est une confrontation qu’on peut résoudre. J’ai des opinions très variées vis-à-vis de la génération précédente, tant positives que négatives. C’est en échangeant entre les générations que l’on arrive à se comprendre. Pour moi, confrontation ne veut pas dire rupture. Je voulais montrer dans le film à la fois le point de vue de Hajime le père, et de Ren le fils. J’ai 26 ans, et je voulais décrire ce père comme s’il pouvait vraiment exister, avec une substance. La confrontation peut tout à fait se résoudre.
La musique du film est très originale, comment l’avez-vous imaginée ?
Le compositeur s’appelle Teranishi Ryo et c’est l’un de mes anciens camarades de l’école de cinéma. Tous les deux, on s’est accordé sur quelques points importants. Tout d’abord, utiliser des voix d’enfants – je disais tout à l’heure que la caméra est un genre de dieu, alors on voulait quelque chose de sacré. On voulait aussi une approche très moderne, et un aspect chant religieux. On avait donc ce triptyque enfants-moderne-religieux, que l’on voulait inscrire dans quelque chose de moderne, pas du tout traditionnel.
Est-ce difficile de filmer Tokyo ?
C’est très difficile de filmer Tokyo et je pense même que c’est la ville pour laquelle c’est le plus difficile au monde d’obtenir les autorisations de tournage. Nous avons été obligés de nous adapter et j’admire mon équipe de production qui a pu se débrouiller dans ces conditions. J’ai entendu que Leos Carax, lorsqu’il a tourné à Tokyo, était très fâché car il n’a pas pu tourner comme il souhaitait.
Quelle est votre approche de la direction d’acteurs ? Notamment pour des acteurs expérimentés tels que le père, vu dans de nombreux films de yakuzas depuis le début des années 2000…
Comme Endo Ken’ichi est très expérimenté, j’étais stressé de tourner avec lui. Mais cela s’est très bien passé. Apparemment, je suis le plus jeune réalisateur qu’il ait connu dans sa carrière. J’ai cherché à faire ressortir de lui quelque chose qu’on n’a jamais vu, notamment dans ses films de yakuzas, quelque chose de pitoyable. Je l’ai vu dans des émissions de variété et je me suis dit qu’il avait de multiples facettes. Je comptais sur lui et il a parfaitement réussi.
Le film a été acquis en France (via Nour Films sous le titre Des Fleurs pour Tokyo, ndlr), allez-vous venir à la rencontre du public français ?
(Avec un grand sourire) Oui, je viendrai !
Quel est votre moment de cinéma, un moment ou film auquel vous pensez maintenant ?
Je dois réfléchir quelques secondes… Je parlerai plutôt de mon déclic, celui qui m’a fait arrêter mes études classiques à l’université pour entrer dans cette école de cinéma. À l’époque, j’avais 19 ans et pour tuer le temps, je regardais énormément de DVD. Je me suis régulièrement dit, face à ces visionnages, que si j’étais le réalisateur, j’aurais fait autrement. Que par exemple, je n’aurais pas terminé le film comme cela. À plusieurs reprises, j’ai ressenti ça. Ce sont sans doute ces moments-là qui ont été importants pour moi, du point de vue du cinéma.
Entretien mené et retranscrit par Maxime Bauer à Cannes le 16/05/2025.
Propos traduit du japonais par Takahashi Shoko.
Remerciements à Calypso Le Guen.
Brand New Landscape de Danzuka Yuiga. Japon. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025.