Projeté en ce Festival de Cannes 2025 à la Quinzaine des cinéastes, Brand New Landscape, récit sur la famille et l’architecture tokyoïte, est l’éclosion d’un jeune réalisateur japonais de 26 ans du nom de Danzuka Yuiga. Le style posé et lumineux de ce film, qui puise son inspiration en premier lieu dans le cinéma de Hou Hsiao-hsien, sonne comme une représentation cinématographique de ce Japon urbain dont le monde rêve et en manifeste son intérêt sur la toile. L’œuvre a été acquise par Nour Films et sortira sous le titre Des Fleurs pour Tokyo.
Dans le paysage en perpétuelle transformation de Shibuya, à Tokyo, Ren travaille comme livreur d’orchidées papillon. Hanté par la disparition de sa mère Yumiko lorsqu’il était enfant, il est depuis longtemps en froid avec son père, Hajime, un architecte-paysagiste. Jusqu’au jour où, lors d’une livraison ordinaire, père et fils se retrouvent face à face…
Brand New Landscape agrippera à coup sûr les amoureux de la ville de Tokyo, qui malgré ses nombreux chantiers en permanence, parvient à conserver une culture et une imagerie qui lui sont propres de par son architecture, depuis les années 1960. Danzuka Yuiga, natif de la plus grande mégalopole du monde, a su insuffler à son film la vibration qui habite Tokyo, une ville animée mais qui présente tout de même quelque chose de réconfortant.
Le réconfort, moteur des œuvres japonaises de style iyashikei, est un sentiment que recherchent les personnages, et en particulier le héros Ren. Marqué par l’absence de son père qui a en quelque sorte dynamité sa cellule familiale durablement, le fait de le retrouver et de chercher la paix dans l’âme, est confrontée au sentiment de rancœur. Loin de mettre l’emphase sur l’amertume d’un tel ressenti, le film navigue constamment sur un courant de positivité, où la blessure des personnages, réelle, décrite, identifiée, est constamment rattrapée par la volonté d’être guéri. Le film n’est d’ailleurs à ce sujet pas sur-écrit, ni sur-interprété par ses acteurs ; les sentiments et les émotions décrits se déploient dans une atmosphère douce, au son délicat de la musique des feux verts piéton au petit matin, à la lueur des lumières des boutiques et des restaurants à la venue de la nuit. Le tension dramatique du film est calibrée pour ne pas verser dans un excès de pathos.
Si la première moitié du film arbore un style à la Hou Hsiao-hsien donc, proche de quelques autres de ses héritiers spirituels tels que Kore-eda Hirokazu, Danzuka Yuiga s’essaie par la suite à un mélange des tons, lorgnant du côté de l’humour et même du fantastique. L’articulation de ces différentes écritures ne semble pas toujours parfaitement huilée (nous parlons d’un premier long-métrage d’un réalisateur de 26 ans), mais la tentative de varier les styles dans ce cinéma d’auteur parfois un brin figé et monolithique, a quelque chose de novateur et mérite d’être prolongé.
Parmi les actrices et acteurs, certains en sont à leurs premiers pas, Kurosaki Kodai qui campe Ren par exemple ; il débute de manière réellement convaincante d’ailleurs et se révèle juste dans tout ce que son personnage doit dire ou réaliser, si bien que certaines scènes trouvent la bonne résonance avec un sentiment de mélancolie, et cela donne du corps au film. Mais la gueule que l’on va remarquer tout de suite reste celle d’Endo Ken’ichi, crédité dans près de 300 films du cinéma japonais contemporain, dont de nombreux rôles de yakuzas. En interprétant Hajime, le père absent, la dureté de ses traits associée à une fragilité intimement perceptible fait de lui le candidat idéal pour le rôle.
Sans parler réellement des mêmes sujets en profondeur, l’atmosphère urbaine de Tokyo et l’importance de la description de la famille fait de Brand New Landscape une sorte de version réactualisée et juvénile de Café Lumière, le film tokyoïte de Hou Hsiao-hsien, créé en 2004 pour rendre hommage à Ozu Yasujiro – d’autant plus à travers de Maki, interprétée par Kikuchi Akiko, dont la relation sentimentale complexe et peu satisfaisante avec Hajime n’est pas sans rappeler le rapport de l’héroïne du film de 2004 avec son copain taïwanais. Danzuka Yuiga devrait s’insérer dans cette grande famille d’auteurs est-asiatiques et son premier long-métrage, qui bénéficie d’une production design solide, laisse espérer une carrière très prometteuse.
Maxime Bauer.
Brand New Landscape de Danzuka Yuiga. Japon. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025.