Niché dans le catalogue de MUBI, le film taïwanais White Ant (2016) de Chu Hsien-che traite du sujet complexe et on ne peut plus contemporain de la jeunesse urbaine dans un récit elliptique où sexualité est synonyme de cloisonnement.
Bai Yide est un jeune libraire célibataire éprouvant du plaisir sexuel à voler et à porter des sous-vêtements féminins. Un jour, il reçoit un DVD dans lequel son manège a été filmé et, par conséquent, devient de plus en plus nerveux.
C’est un premier film de fiction pour le cinéaste-vétéran Chu Hsien-che, actif sur la scène du documentaire taïwanais depuis plus de vingt ans. C’est aussi une franche réussite puisque White Ant remporte en 2016 le prix FIPRESCI au Festival International du Film de Busan, pour aujourd’hui atterrir très logiquement sur la plateforme MUBI. L’histoire ici racontée est celle de Bai Yide (interprété par l’excellent acteur au visage singulier Chris Wu), jeune libraire réservé dont le secret enfoui est de voler et porter des sous-vêtements féminins. Son fantasme s’assouvit un jour qu’il rentre du travail et dérobe de la lingerie en train de sécher en bas de chez lui pour répondre à ses pulsions dans l’intimité de sa chambre. Naturellement réduit à la honte et au désespoir, son acte qu’il pensait secret a été filmé par deux étudiantes proches de la scène, Junhong (Aviis Zhong) et Peiyi (Alina Fang-ting). Junhong envoie anonymement un DVD de la capture à Bai, qui sombre peu à peu dans la paranoïa.
Plus que l’acte pervers en lui-même, Chu Hsien-che porte d’abord son attention sur les agissements de Junhong vis-à-vis de sa cible. La question mérite certainement d’être posée : pourquoi plonger Bai dans la terreur ? Elle ne le connaît pas et les sous-vêtements volés ne sont pas les siens, pourtant son geste a tout d’une vengeance. Alors pourquoi s’efforcer à ce point d’instaurer un régime de culpabilité ? Le film est très évasif à ce propos, Junhong elle-même ne semblant pas comprendre ses motivations quand tout son entourage lui dit de laisser tomber, d’appeler la police si cela la dérange tant et de tourner la page de sa rupture. La relation avec son amie va peu à peu se détruire alors que Junhong devient aussi solitaire que sa cible et éprouve une forme de culpabilité en retour. Pour autant, le film n’accuse aucunement la jeune fille et ne détourne pas le regard de l’élément perturbateur qu’est initialement l’attitude de Bai.
En second lieu, White Ant répond aux propres questionnements intérieurs de Junhong en auscultant l’origine du comportement fétichiste de Bai. L’acte de voler des sous-vêtements pourrait marquer le premier point de son fantasme, mais ce serait pour lui probablement honteux d’en acheter lui-même pour les mêmes raisons qu’il se sent honteux de simplement le désirer. Au travers de retours dans le passé, on comprend que Bai a développé certains de ses mal-êtres à cause de sa mère, trop protectrice, et qu’il surprend un jour au lit avec un homme. Sa mère sera d’ailleurs la première à être témoin des vols répétés de son fils. L’origine du fétichisme serait donc un traumatisme d’enfance ayant engendré toutes sortes de troubles mentaux. L’histoire pourrait s’arrêter là mais le problème reste que Chu Hsien-che répond à un sujet très complexe – à savoir le fétichisme et la possible souffrance de celui ou celle qui le subit solitairement – par la maladie mentale. Cette dernière est bien là et torture Bai qui vient jusqu’à penser qu’une voix lui parle dans ses cheveux lors d’une crise de paranoïa. Mais il manque au film de s’éprendre d’empathie, de compréhension et bien sûr de discernement à l’encontre de cette souffrance, ce qui ne veut pas dire l’accepter ou la condamner, mais étendre son horizon filmique à la société toute entière qui, elle, exclut, isole et humilie arbitrairement comme Junhong a pu le démontrer. Dans un contexte asiatique contemporain, la sexualité refoulée et le mal-être cloisonné, au seuil de la supposée dysphorie de genre de Bai, sont autant de motifs révélateurs de troubles symptomatiques que ceux que le film prêtent à ce personnage.
Richard Guerry.
White Ant de Chu Hsien-che. Taïwan. 2016. Disponible sur MUBI.