Comment se porte le cinéma de Hong Kong ? Près de 30 ans après la rétrocession à la Chine, comment l’industrie cinématographique a-t-elle évolué ? Est-elle toujours dynamique ? Quelles sont ses relations avec l’industrie chinoise ? Pour répondre à ces questions, le Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul (FICA) a organisé une table ronde réunissant spécialistes du cinéma hongkongais, l’actrice Patra Au et les productrices Teresa Kwon et Mo Zhulin.
Animée par Frédéric Ambroisine, spécialiste du cinéma de Hong Kong, cette table ronde était organisée le samedi 15 février 2025, en écho au focus « Regards sur le cinéma de Hong Kong », de la 31è édition du Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul. En voici des extraits : il ne s’agit pas d’une transcription in extenso.
1974, un jour à Hong Kong
Hubert Niogret, critique à Positif, a introduit la table ronde par un souvenir, celui de sa découverte de Hong Kong dans les années 70 : « En 1974, j’ai travaillé pendant un mois à Hong Kong, avec mon ami Pierre Rissient, qui envisageait d’y réaliser un film. Voici comment se passait une journée-type : le matin, on regardait des films dans les studios de la Shaw Brothers ou de Golden Harvest pour observer le travail des techniciens, découvrir des acteurs et le simple plaisir de découvrir des films. Au déjeuner ou au dîner, Pierre Rissient nous emmenait dans des bons restaurants : j’ai découvert la cuisine hongkongaise ! Mais ma première grande découverte à Hong Kong fut King Hu. Un jour, Pierre me dit : « on va regarder un film de King Hu ; il est en deux parties mais on doit le remonter pour en faire une version plus courte. » C’était A Touch of Zen qui sera projeté à Cannes en 1975. On a rencontré King Hu à plusieurs reprises et, par son entremise, son meilleur ami et réalisateur Li Han-hsiang. C’est le début de mon histoire avec Hong Kong. »
Chine continentale – Hong Kong : 1 – 0 ?
Après cette introduction et ce voyage temporel dans une époque révolue mais mythique de Hong Kong, Frédéric Ambroisine a orienté la discussion vers les rapports ambivalents et complexes entre les industries cinématographiques de Chine continentale et de Hong Kong. Cette dernière est-elle complètement dépendante de la première ? Sans l’argent et le public chinois, le cinéma hongkongais est-il voué à disparaître ? Et avec l’argent de la Chine, peut-il conserver son identité et ses spécificités ?
Patrick Frater, journaliste pour Variety : « En 2003, le Closer Economic Partnership Act a rapproché toutes les industries de la Chine continentale et de Hong Kong. Le cinéma en a bénéficié. Cela a permis à des films hongkongais d’être distribués en Chine, ce qui était auparavant compliqué. Pendant près de 20 ans, il y a eu un accroissement des rapports économiques et financiers et plusieurs réalisateurs comme Johnnie To ou Peter Chan ont travaillé sur le continent, certains y ont ouvert leurs bureaux, comme Jackie Chan. Mais vers 2018, cette évolution a un peu freiné et on ne peut pas tout à fait dire que le cinéma hongkongais ne peut rien faire sans le financement de la Chine continentale. Prenons l’exemple de deux films produits par William Kong, l’un des principaux exploitants et distributeurs de Hong Kong. L’an dernier, il a produit le blockbuster Cesium Fallout, un grand succès commercial fait à Hong Kong mais en partie financé par la Chine continentale. Son prochain grand film, à sortir en 2025, est The Furious, réalisé par le Japonais Tanigaki Kenji, avec une distribution pan-asiatique. Le budget est de 120 millions de dollars mais il n’y a pas d’argent chinois impliqué. William Kong n’a pas eu besoin de la Chine pour financer le film et il n’en aura probablement pas besoin non plus pour rentrer dans ses frais. »
Luisa Prudentino : « Depuis 2003 et le Closer Economic Partnership Act, le nombre de coproductions entre Hong Kong et la Chine a augmenté. Cet accord permet aux films hongkongais d’être considérés comme des productions nationales et donc d’éviter les quotas sur la distribution des films étrangers. C’est une bonne chose mais cela entraîne aussi beaucoup de compromis sur la liberté artistique et sur le ton à adopter pour plaire au public chinois. Par exemple, Tsui Hark tourne maintenant pour le public chinois, même s’il essaie parfois de conserver une identité ou un style hongkongais. C’est un équilibre très difficile à trouver. Surtout depuis 2021 et sa loi sur la sécurité nationale qui renforce la censure. La situation actuelle est étrange. Les réalisateurs hongkongais doivent trouver des idées qui plairont au public chinois. Cela donne Tsui Hark ou Jackie Chan. Pour ce qui est des risques de censure, on peut espérer que cela stimule les réalisateurs pour trouver des moyens de la contourner. Mais la censure n’est pas seulement politique, elle vient aussi du marché et du public. C’est une situation compliquée. »
Des coproductions qui dépassent le cadre chinois
Le débat « régional » entre la Chine continentale et Hong Kong n’est qu’un aspect du financement et de la distribution des films. Plusieurs films hongkongais projetés cette année au festival de Vesoul montrent que les coproductions internationales, incluant l’Europe et le Moyen-Orient, sont de plus en plus courantes. C’est le cas des films de Ray Yeung, Un Printemps à Hong Kong et Tout ira bien, mais aussi de To Kill a Mongolian Horse de Jiang Xiaoxuan.
Teresa Kwong, productrice : « Ray Yeung est originaire de Hong Kong mais a grandi à l’étranger, au Royaume-Uni et à New York. Ses deux premiers films ont été tournés en anglais mais quand il est revenu à Hong Kong, il avait en tête de réaliser un film hongkongais, avec une couleur locale, mais pour le côté marketing, il voulait le promouvoir et le distribuer en Occident. Je parle d’Un Printemps à Hong Kong. La stratégie était de cibler les grands festivals internationaux et de gagner des prix pour ensuite distribuer le film à Hong Kong. Il y a eu le même processus pour Tout ira bien. On a soumis le scénario dans plusieurs marchés du film internationaux (notamment le Hong Kong Asian Film Financing Forum et le marché du film de Busan) afin d’attirer des producteurs et d’obtenir des financements. Pour Tout ira bien, c’était pendant la période du confinement en 2021 et on présentait le film en visioconférence sur Zoom, on ne pouvait pas se déplacer. On a eu des touches avec des distributeurs européens, notamment Films Boutique, qui nous a aidés à promouvoir le film dans les festivals internationaux et à le vendre à l’international. »
Mo Zhulin : « Je suis la productrice de To Kill a Mongolian Horse, présenté l’an dernier au Festival de Venise. Sa production et sa distribution sont assez similaires à ce que vient de dire Teresa. C’est une coproduction entre la Chine, Hong Kong, la Thaïlande, l’Arabie Saoudite, la Corée et le Japon. C’est une histoire très contemporaine qui se déroule à la frontière entre la Chine et la Mongolie. Mais nous avons eu beaucoup de soutiens financiers de Hong Kong. Je ne dirais pas que notre film fait partie du cinéma de Hong Kong car de nos jours, les coproductions internationales, de plus en plus nombreuses, changent cette notion locale. Nous avons sollicité de nombreux financements et été soutenus par le Hong Kong Asian Film Financing Forum. Même quand le film était terminé, nous cherchions encore des coproductions. L’Arabie saoudite s’est manifestée après la projection du film au Festival de Venise. C’est un pays éloigné de la Chine et de Hong Kong mais qui s’ouvre de plus en plus aux financements de films asiatiques. Leur volonté de produire des films chinois offre de nouvelles opportunités pour les nouveaux réalisateurs et les sociétés de production indépendantes, de taille réduite et au budget modeste. To Kill a Mongolian Horse a été tourné en 21 jours et tout le processus a duré deux ans, de la lecture du scénario à la première mondiale en salle. On a géré notre budget au mieux et on a sollicité les marchés du film pour trouver des financements et être sélectionnés en compétition, notamment au Hong Kong Asian Film Financing Forum et à Busan. Nous avons aussi obtenu le soutien de la Visual Industry Promotion Organization, une organisation japonaise à but non lucratif, lors de l’Asian Project Market 2023. Et le mois prochain, on présente le film au Festival de films asiatiques d’Osaka. C’est incroyable que le film soit passé par autant de pays en si peu de temps, ça nous a ouvert de nombreuses opportunités. »
Ray Yeung et les thématiques LGBT
Pour terminer, Teresa Kwong et l’actrice Patra Au ont parlé en détail du traitement des thématiques LGBT à Hong Kong et des films de Ray Yeung.
Teresa Kwong : « Produire des films LGBT à Hong Kong ne pose pas vraiment de problèmes. Certes, il y a un système de censure, tout est encadré. Pour Un Printemps à Hong Kong et Tout ira bien, c’est plutôt le fait de parler de personnes âgées qui a été bloquant. Quand on présentait les films aux distributeurs et investisseurs, et pas seulement à Hong Kong, ils nous disaient : “Oh, vous faites un film LGBT, c’est bien, c’est émouvant, mais on n’est pas certains de faire beaucoup d’argent avec ça.” C’était plus compliqué pour Tout ira bien parce que, si les histoires d’amour entre hommes sont assez populaires, c’est moins le cas pour les amours lesbiennes. Par exemple, les communautés lesbiennes sont moins mobilisées que les communautés homosexuelles masculines pour soutenir et voir ce genre de films. Mais vendre des films LGBT à Hong Kong et dans le monde est possible… sauf à deux endroits : la Chine continentale et certains pays d’Asie du Sud-Est, comme la Malaisie. En Chine, les films de Ray ne sont pas sortis officiellement mais étaient disponibles dans le marché underground, on pouvait les voir dans des lieux privés grâce à des copies pirates. C’est plutôt un honneur pour nous ! »
Patra Au, actrice d’Un Printemps à Hong Kong et Tout ira bien : « Déjà, il faut savoir que l’homosexualité n’est pas légale à Hong Kong mais elle est acceptée et tolérée. Un Printemps à Hong Kong est mon premier film, il a été tourné l’année où j’ai pris ma retraite d’actrice de théâtre. Je m’ennuyais un peu, je voulais encore travailler. Ray m’a contactée pour passer une audition. J’ai compris que le rôle était celui d’une femme âgée alors j’ai enfilé la robe la plus ringarde que j’avais pour me vieillir ! Pendant plusieurs jours, Ray m’a parlé du rôle. Il voulait que je sois sûre que l’homosexualité ne me dérange pas. Comme je venais du théâtre, il s’inquiétait aussi du fait que je puisse sur-jouer, en faisant des mimiques ou des expressions faciales très prononcées. Ray m’a dit qu’il voulait un jeu plus sobre, comme dans les films d’Ozu. Parfait, je connais bien les films d’Ozu, des visages inexpressifs où tout passe par le regard. Donc j’ai passé l’audition, ce qui n’était pas évident car, en tant qu’actrice de théâtre « vétérane », ça faisait bien 40 ans que je n’avais pas passé d’audition. C’est donc comme ça que j’ai commencé ma carrière de cinéma. Malgré mon âge, j’ai été nommée dans la catégorie Nouvelle Meilleure Actrice aux Hong Kong Films Awards, ce qui a bien fait rigoler mes amis. Un an plus tard, Ray m’a demandé si je voulais jouer dans son nouveau film, Tout ira bien. On a passé beaucoup de temps à préparer le film, à comprendre le parcours émotionnel des personnages. Au théâtre, on a l’habitude de rédiger nous-mêmes des biographies pour chaque personnage, pour les connaître dans les moindres détails. Mais Ray a rédigé lui-même des indications biographiques très précises pour chaque personnage afin que les acteurs soient tous sur la même longueur d’onde. Au début du tournage, personne ne se connaissait vraiment, mais après des ateliers organisés avant le tournage, on est rapidement devenu une famille. »
Marc L’Helgoualc’h
Table ronde animée le samedi 15 février 2025, au Festival International des cinémas d’Asie de Vesoul.