Un film plus léger s’est invité sur les écrans du Festival Allers-Retours 2025, après plusieurs drames formidables mais assourdissants. Cette pause ludique dans la sélection, nous la devons à la jeune réalisatrice Chen Yusha qui fait de son premier long-métrage, Frankenfish by the River, un joli manifeste de rêverie sentimentale sur les doutes et les angoisses de la jeunesse.
Trompée par son partenaire, Jia Jia, aspirante actrice, retourne dans sa ville natale et retrouve ses amis Han Ling et You Wei. Le temps d’un été, les jeunes adultes se confrontent à l’évolution des sentiments et au passage du temps à travers ces retrouvailles dans la folie de la vie citadine.
Victime d’une rupture amoureuse après la tromperie de son copain à Beijing, Jia Jia retourne dans sa ville natale pour reprendre son souffle et retrouver ses amis d’enfance. Han Ling, de son côté, revient de France où elle fait ses études pour quelques semaines, tandis que You Wei, le garçon de la bande, n’a jamais vraiment trop bougé. Cette petite cosmologie amicale, est celle que tout le monde connaît à un moment ou à un autre de la jeune vie d’adulte : celle qui déménage à la capitale, celle qui part à l’étranger, celui qui reste. Réalisatrice mais aussi actrice de son premier long-métrage, Chen Yusha livre ce coming of age comme un hommage engourdi et attachant aux fameuses années de crise de la vingtaine.
Ces années durant lesquelles les plus fortes camaraderies ne vont pas sans les départs des uns ou les échecs des autres. Frankenfish by the River se déroule dans un univers où rien n’a trop l’air d’avoir changé depuis l’enfance de nos trois protagonistes. Les moqueries de l’époque refont surface dans un climat puéril et bon enfant teinté de couleurs pastels à la saveur irremplaçable des vacances d’été. Sans nommer la ville où se déroule l’action dans un souci d’universalité, les allées verdoyantes et l’impression générale de tranquillité évoquent aussi bien le Sichuan natal de la réalisatrice qu’un lieu de tendresse affective où l’on s’ennuie poliment au fil des saisons en fréquentant les mêmes bars, les mêmes appartements, les mêmes parcs, les mêmes rives. En somme, les mêmes usines à souvenirs.
Dans cet environnement favorable à la réminiscence, Chen Yushan s’accroche aux difficultés du temps présent et de la vie réelle qui poursuivent les personnages dans leur insouciance. La caméra, à hauteur d’homme, ne quitte jamais vraiment le champ de leurs actions et fait de l’inconnu tout autour une source d’angoisse grandissante pour cette jeunesse naturellement inquiète de l’avenir. Pour accompagner le côté déjà très « pop » du film, reviennent plusieurs fois des séquences d’animation où se raconte une histoire alternative de poissons rouges enfermés dans un bocal que l’on devine faire écho au sentiment d’impuissance et de préoccupation de nos personnages. S’ils ne sont pas comme des poissons dans l’eau, c’est qu’ils ne parviennent pas encore à fissurer le bocal pour assouvir ces envies de liberté. Il devient alors nécessaire de se serrer les coudes malgré les accrochages au sein du groupe et de conserver une part de cette enfance maladroite qui fait grincer les dents de chaque adulte du film. Le temps d’une solitude partagée dans la chaleur estivale, Frankenfish by the River nous rappelle qu’affronter la vie, c’est quand même mieux à trois.
Richard Guerry.
Frankenfish by the River de Chen Yusha. 2024. Chine. Projeté au Festival Allers-Retours 2025.