ALLERS-RETOURS 2025 – After the Snowmelt de Lo Yi-shan

Posté le 12 février 2025 par

Au programme de la 7e édition du Festival Allers-Retours, le documentaire After the Snowmelt de Lo Yi-shan cultive le deuil au travers d’images si personnelles, désarmantes et introspectives que l’on se sentirait presque coupable de les regarder.

Après la mort de son meilleur ami, prisonnier des neiges lors d’une expédition dans la montagne du Népal avec son petit ami, une jeune réalisatrice décide de prendre la caméra pour vivre en adéquation avec les derniers mots du défunt. Des années plus tard, elle retourne sur les lieux de l’accident pour honorer la promesse posthume de faire de cette fin un récit.

Après la mort soudaine et prématurée de son ami Chun lors d’un trek dans l’Himalaya, c’est tout un petit monde qui s’écroule dans la nébuleuse du défunt. Le plus difficile, généralement, n’est pas tant la fin en elle-même que les regrets qui l’accompagnent. Lo Yi-shan, dans son cas, a la chance d’être la destination épistolaire des derniers mots de Chun. Ou bien peut-être est-ce là tout l’inverse d’une chance. La réponse se trouve quelque part dans les souvenirs embués de la réalisatrice, et dans le pèlerinage qu’elle prépare et se donne pour mot d’ordre : retourner sur les lieux de l’accident et faire de ce voyage un film pour honorer les dernières volontés de Chun.

À l’image du vide existentiel laissé par la mort d’un ami, After the Snowmelt se présente comme une suite désordonnée d’impressions intimes, d’extraits de lettres et d’archives de ce dernier voyage. Lo Yi-shan retrouve Yueh, le petit ami excentrique de Chun qui a survécu à l’expédition. Celui-ci occupe toute la première partie du documentaire avant de progressivement s’effacer du récit. Une première partie plus légère, où Yueh nous apparaît attristé mais sans remord, sans doute accompagné dans son deuil par l’idée que Chun pensait mourir un jour, tôt ou tard, en montagne. Les émotions véhiculées par le film sont alors encore incertaines, sans trop savoir si Yueh s’enferme dans un déni émotionnel ou dans une philosophie positive de la vie et de la mort que Lo Yi-shan ne semble pas partager. En quête de réponses, le tournage d’un film apparaît comme une évidence pour concrétiser le deuil et rendre hommage à son ami.

Au cours de son voyage sur les traces de Chun, Lo Yi-shan expérimente les mêmes parcours, les mêmes rapports à la nature et les mêmes rencontres avec les locaux népalais que son ami avant elle. Dès les premières images montrant des empreintes dans la neige, le documentaire adopte un ton onirique, fuyant, baigné dans l’éther d’un passé douloureux qui s’incarne en ode à la beauté de la nature autant qu’à son impitoyable (mais jamais injuste) dangerosité. Une telle approche permet certainement à la réalisatrice d’adoucir la conception de la mort en l’appréhendant comme un cycle cruel mais pas tragique, en adéquation avec les derniers mots de Chun qui n’accuse personne du sort qui lui sera réservé. Lo Yi-shan nous fait intimement comprendre qu’une relation d’ordre quasi-cosmique comme celle qu’elle entretenait avec Chun, continue d’exister dans chaque chose de ce monde, dont ce testament-documentaire. Ainsi, le film façonne un voyage qui débute dans le traumatisme de la perte pour, pas à pas, tendre vers la réconciliation, assumant d’autre part la responsabilité du survivant de raconter la mémoire du défunt. Au moment de trouver la grotte où Chun a perdu la vie, Lo Yi-shan découvre au fond d’elle la réponse à ses questions, et dans le même temps que l’eau qui formait une cascade par alors, s’est infiltrée et coule désormais en ruisseau dans la grotte, faisant du dernier paysage connu de Chun un nouveau paysage aux yeux de la réalisatrice. C’est en fabriquant de la sorte un lent processus de guérison symbolique qu’After the Snowmelt invite nous autre étrangers, à prendre part à la promesse de faire de cette fin un récit.

Richard Guerry.

After the Snowmelt de Lo Yi-shan. 2024. Taïwan. Projeté au Festival Allers-Retours 2025.