VIDEO – Le Château solitaire dans le miroir de Hara Keiichi

Posté le 2 avril 2024 par

Après sa sortie en salles en septembre dernier, Le Château solitaire dans le miroir de Harai Keiichi est de retour en DVD et Blu-Ray chez Eurozoom. Une nouvelle chance de découvrir ce beau drame adolescent teinté de fantastique et dans la droite lignée de Colorful, un de ses plus beaux films.

Un beau jour, le miroir dans la chambre de Kokoro se met à scintiller. À peine la jeune fille l’a-t-elle effleuré qu’elle se retrouve dans un formidable château digne d’un conte de fées. Là, une mystérieuse fillette affublée d’un masque de loup lui soumet un défi. Elle a un an pour l’accomplir et ainsi réaliser un souhait. Seulement Kokoro n’est pas seule : six autres adolescents ont le même objectif qu’elle.

Hara Keiichi avait déçu nombre de ses admirateurs avec son œuvre précédente, Wonderland, le royaume sans pluie (2019). Le foisonnement formel s’y laissait déborder par une intrigue plus conventionnelle et loin de la profondeur de ses premiers travaux. Sans égaler les réussites passées, Wonderland finissait pourtant par révéler un charme et une émotion inattendus, dans la droite lignée des constructions de récit refusant l’évidence trop visible qui caractérise le réalisateur. Le Château solitaire dans le miroir voit Hara marier la « facilité » de certains éléments de Wonderland (énième postulat d’Isekai avec cette héroïne mal dans sa peau transportée dans un autre monde) avec la profondeur d’Un été avec Coo (2007) et surtout Colorful (2010), auquel on pense beaucoup.

Colorful désarçonnait puis bouleversait, par son héros renfermé et capricieux avant sa saisissante conclusion qui révélait les maux expliquant cette attitude. Le Château solitaire dans le miroir s’avère moins explicitement rugueux dans son approche tout en creusant le même sillon des tourments adolescents. Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Tsujimura Mizuki qui remporta un immense succès au Japon lors de sa publication en 2017. Elle est également l’autrice du roman dont fut adapté True Mothers de Kawase Naomi (2020), ce qui situe sa capacité à explorer des sujets douloureux, à capturer avec justesse l’intime quel que soit l’âge de son lectorat. C’est ce qui frappe immédiatement ici avec son argument mariant un point de départ vu et revu (y compris chez Hara avec Wonderland), entre Alice aux pays des merveilles, Le Voyage de Chihiro ou le plus balisé des Isekai, avec un véritable drame adolescent parvenant à trouver un vrai vertige existentiel et métaphysique.

Le monde parallèle dans lequel se fait aspirer la jeune Kokoro via le miroir de sa chambre s’avère aussi luxuriant que minimaliste. Il se résume à un château de conte où elle est invitée, avec six autres adolescents, à se rendre à sa guise durant un an et y relever un défi selon des créneaux horaires bien spécifiques, sous peine de croiser le cerbère de ces lieux. La symbolique des règles du château se révèle peu à peu. Le château n’est pas comme dans un Isekai basique le lieu d’une seconde chance, d’une réincarnation où l’on se découvre de nouvelles aptitudes, mais tout simplement une extension du foyer et refuge au sein duquel on s’abrite des tourments du collège – il s’avère vite que les six élus sont victimes de harcèlement scolaire. L’échéance d’un an et le défi à surmonter dans le monde parallèle est donc aussi celui correspondant à reprendre sa vie en main dans la réalité.

Hara ne joue pas spécialement sur le mystère des lieux et les éléments balisés de son intrigue, mais travaille avant tout l’étude de caractère de son groupe. La présence ou l’absence de chacun révèle en pointillé la disgrâce, la nouvelle humiliation scolaire dont ils ont été victime, et les interactions au sein du château reproduisent parfois incidemment l’ostracisation de certains camarades. Si les flashbacks fragmentés laissent peu à peu deviner les raisons du trouble de Kokoro, la caractérisation subtile des autres protagonistes laisse habilement entrevoir leurs difficultés, avant qu’un bouleversant rebondissement final ne nous les expose crûment. Le jeu de piste est visible dans le château et davantage implicite dans le monde réel pour se rejoindre dans une sorte de belle fraternité des exclus et laissés pour compte, à travers l’espace et le temps. Le lien entre les personnages va alors révéler un pan inattendu qui ajoute une profondeur touchante à l’ensemble.

Hara Keiichi explore des zones parfois très sombres mais sans complaisance illustrant tout un spectre cruel des maux adolescents, tout en affirmant l’espoir de s’en remettre dans la résolution. Le château et tous les personnages (l’hôte juvénile au masque de loup), décors et accessoires associés sont les pièces d’un espace mental ne représentant pas un mystère à résoudre, mais un destin à affronter. Le mélange de féérie et de sobriété est brillamment tenu et offre en définitive une œuvre très touchante.

BONUS

Une courte interview filmée (3 min) de Hara Keiichi où il évoque les prémices du projet, sa résonance avec les problèmes sociaux contemporains du Japon, le difficile travail d’adaptation dans le resserrage de l’intrigue par rapport au roman.

Un livret de 12 pages contenant la présentation des personnages, un extrait du roman, une notule sur le problème du harcèlement scolaire au Japon et ses conséquences. Il y a également une autre interview de Hara Keiichi où, en plus des éléments abordés sur le bonus vidéo, il aborde aussi son travail avec les animateurs et sa collaboration avec la compositrice Fuuki Harumi.

Justin Kwedi.

La Château solitaire dans le miroir de Hara Keiichi. Japon. 2022. Disponible en DVD et Blu-Ray chez Eurozoom le 02/04/2024.

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