EN SALLES – Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-wook

Posté le 7 mars 2024 par

La trilogie de la vengeance de Park Chan-wook, immense morceau de cinéma coréen, revient dans nos salles en version restaurée. Sympathy for Mr. Vengeance en est le premier opus, à l’origine sorti en 2002.

Ryu est sourd et muet, une situation tout aussi difficile pour lui que pour les autres. Il a une sœur extrêmement malade. Travaillant à l’usine, l’argent gagné ne suffit pas pour lui assurer des soins décents. Il passe son temps entre sa fiancée, une gauchiste extrémiste, et sa sœur qui souffre le martyre. Sympathy for Mr.Vengeance part comme une comédie dramatique totalement décalée.

Avec un sens du cadre et de la bizarrerie incroyable, Park Chan-wook pose les premières pierres d’une tragédie qu’on voit venir au fur et à mesure. La première partie montre le quotidien de Ryu, entre des passages à l’hôpital, les nuits difficiles dans son appartement bruyant et ses journées harassantes à l’usine. L’ambiance y est déjà très lourde. Peu de dialogues, une musique dissonante, un cadre étouffant. Puis, Ryu est renvoyé de l’usine, il y a le don du rein, les 10 millions de wons et voilà le couple improbable en quête d’argent préparant l’enlèvement de la petite fille de l’ancien patron de Ryu. Malgré l’angoisse diffuse que donne la superbe mise en scène de Park Chan-wook, cette première partie apparaît franchement drôle et absurde.

On fait peu à peu la connaissance du patron, Dong-Jin (Song Kang-ho, toujours parfait). Il est d’abord montré comme un homme froid et sans pitié pour ses employés (la scène hallucinante de l’homme viré qui vient se lacérer au cutter devant lui). Le kidnapping a lieu, et les dernières pièces sont en place. C’est inéluctable, les personnages ont tous scellé leur destin.

Le destin joue bien des tours aux protagonistes, si bien qu’arrivé à la moitié du métrage, on ne rit plus du tout. Le tour de force de Park Chan-wook est d’avoir évité tout manichéisme. Aucun personnage n’est vraiment détestable. Ils sont tous « instrumentalisés », comme dans toute bonne tragédie qui se respecte. Ryu est un kidnappeur, mais il est une victime de la politique de son usine, de la vie, des circonstances. Tandis que Dong-Jin, bien que patron, est un père avant tout. Il aurait été facile de montrer un méchant kidnappeur contre un homme sans reproches, avançant sans peur dans sa quête de vengeance. Dans Sympathy for Mr. Vengeance, rien n’est aussi simple. La vengeance est aveugle. La deuxième heure nous fait logiquement basculer dans le quotidien de Dong-Jin et il apparaît clairement que les évènements lui font peu à peu perdre pied. Le personnage perd toute rationalité. Il est maintenant l’instrument de la vengeance. Pas un vigilante, comme on peut en voir souvent, mais un homme complètement perdu, qui ne peut décemment pas faire la part des choses.

La vengeance est nauséabonde, horrible jusqu’à l’écœurement. Pourtant, on ne trouve personne à blâmer et c’est là que le film met extrêmement mal à l’aise. Chacun des protagonistes apparaît à un moment ou à un autre attachant. Ils sont humains, et c’est cette humanisation qui rend les choses difficilement appréhendables. On ne sait vraiment pas quoi penser, emporté par un malaise continu. Toute cette situation est juste complètement absurde, et Park Chan-wook parle de petits riens qui font basculer l’existence. La vengeance est dans la nature humaine, elle est impitoyable, fait perdre toute raison et surtout elle est sans fin. Sympathy for Mister Vengeance est un véritable bijou de noirceur.

Jérémy Coifman.

Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-wook. Corée du Sud. 2002. En salles le 06/03/2024.