Le cinéma art et essai japonais figure parmi les plus représentés en matière de cinémas d’Asie sur nos écrans. Aussi, chaque film à sortir doit parvenir à se démarquer pour rester dans les mémoires. En adaptant une histoire vraie et mélodramatique avec Satoshi, distribué par Wayna Pitch, Matsumoto Jumpei rentre dans les canons de son registre, plutôt sagement, mais pour autant, offre de vrais moments d’émotion aux spectateurs.
Satoshi est le petit dernier d’une famille moyenne japonaise. À peine âgé de neuf ans, sa vue décline et il devient aveugle. Passée l’adolescence, il trouve un point d’équilibre à travers son inscription dans une école pour malvoyants et avec l’accompagnement de sa famille aimante, surtout sa mère, qui lui apporte un soutien sans faille. Mais c’est alors que le sort s’acharne et que son ouïe commence également à disparaître…
Le titre international du film, A Mother’s Touch, est assez évocateur de l’angle de vue choisi par la réalisation : la mère de Satoshi est le moteur de l’intrigue, et c’est bel et bien la beauté d’une relation mère-fils et d’un amour filial extrêmement fort qui est dépeint ici, autant dans un quotidien relativement doux par moment, que face à l’adversité de cette perte des sens, véritable malédiction pour le jeune Satoshi. Le film est centré sur leurs interactions, sans s’attarder tellement sur d’autres sujets, hormis la camaraderie et le crush de Satoshi, tout de même relégués au second plan. La défaillance du corps médical est également abordée, mais assez survolée. Ce choix de focus n’est en rien gênant, car la sincérité avec laquelle Matsumoto représente la mère et son enfant rend leur relation douce et cinégénique.
Le père et les frères de Satoshi existent, mais apparaissent peu de temps à l’écran. Si l’on peut imaginer que c’est le fait réel, pour lequel la mère va jouer un rôle majeur dans le salut de son fils, qui a motivé Matsumoto à composer ses personnages ainsi, l’absence partielle du père est quelque peu symptomatique d’une idée de la cellule familiale japonaise dans laquelle le père s’efface dans l’éducation des enfants au profit de la mère. Cette caractéristique est notable du cinéma japonais récent, comme dans L’Innocence de Kore-eda Hirokazu, où la mère, incarnée par Ando Sakura, est la seule figure parentale du petit personnage principal. D’une manière générale, Satoshi s’ancre dans ce cinéma d’auteur japonais façon Kore-eda, à travers son intrigue familiale ponctuée de drames et les émotions qui les accompagnent ; en choisissant toutefois une narration resserrée sur des sujets plus simples, là où Kore-eda taille l’âme de ses protagonistes à vif à travers des évènements extrêmement douloureux impliquant la vie en société. Matsumoto préfère, lui, évoquer un phénomène incontrôlable, qui bien que très dramatique, pousse les personnages y prenant partie à supporter la douleur ensemble et réinventer leur quotidien.
Le cas de Satoshi n’est pas sans rappeler celui de Helen Keller aux États-Unis, que le film ne manque pas de mentionner, cas américain qui a aussi connu une adaptation cinématographique dans les années 1960 : Miracle en Alabama. Par le tracé de la destinée du personnage, qui avance de quelques pas dans la vie avant de subir des revers terribles, ainsi que le cadre de confort matériel d’une famille moyenne du Japon, Satoshi nous emmène au cœur du quotidien et des sentiments de ces protagonistes touchants, dans une veine légèrement socio-réaliste mais avec un soin apporté à la mise en scène permettant une immersion narrative intégrale. Les spectateurs accompagnent la vie de Satoshi et sa mère sur un temps long et observent leurs victoires au jour le jour. Le film ne plonge jamais dans le misérabilisme et c’est à son crédit. La fin, pourtant marquée par une victoire face au destin qui attendait Satoshi, prend une forme modeste, et paradoxalement permet de décupler l’émotion. C’est d’ailleurs à ce moment que l’on se rappelle qu’il s’agit d’une histoire vraie. Le spectateur sent alors qu’il a assisté à une histoire terriblement réelle mais marquée par le courage et l’amour.
Satoshi est un film sentimental de la plus belle manière. Il rend honneur à ces personnes, ces familles sur lesquelles le sort s’acharne sans instrumentaliser leur malheur à des fins larmoyantes.
Maxime Bauer.
Satoshi de Matsumoto Jumpei. Japon. 2022. En salles le 28/02/2024.