ALLERS-RETOURS 2024 – Courts-métrages

Posté le 17 février 2024 par

Cette année encore, le Festival Allers-Retours a proposé une sélection de courts-métrages audacieuse et inventive. Du monde des ombres à celui des sens, en passant par une nuit dans la steppe mongole et un fantôme chevelu, il est passé quelque chose de l’ordre du rêve, et parfois de la grâce.

Malgré des univers diverses et des formes multiples, les quatre films présentés visaient l’expérience sensorielle, d’une manière ou d’une autre, tout en réfléchissant aux moyens d’appréhender l’environnement, la nature, les sentiments ou les stigmates de l’Histoire.  Le titre du court-métrage de Zhu Yunyi, De Songes au songe d’un autre miroir, aurait pu nommer l’ensemble des œuvres aussi déconcertantes que passionnantes, qui constituaient cette sélection.

C’est d’ailleurs ce court-métrage au si beau titre qui ouvre le bal. Documentaire de 16 minutes, le film suit trois non-voyants tentant de décrire la façon de se former des images, souvent très précises, des objets et des gens qui les entourent. De Songes au songe… pâtit d’un découpage un peu morose et d’une voix off redondante. Il se dégage néanmoins une émotion sincère et assez touchante de cette appréhension, et transmission, des sens.

Comme lui, Tunnel Wandering de Li Zehao, sans aucun doute, le plus expérimental de la sélection, réfléchit à la matière et travaille la texture, en adoptant une forme animée bien plus radicale. Des compositions de cyanotypes se succèdent, comme autant de taches bleutées, jetées sur un canevas. Ce dispositif contribue à créer une atmosphère plutôt angoissante,  tel un tourbillon entraînant la confusion des sens. Le film est un accomplissement formel indéniablement intéressant mais il ne parvient jamais à passer le stade de l’exercice pour nous emmener vers l’émotion qu’il semble rechercher. Tunnel Wandering fonctionne alors davantage comme une installation d’art contemporain que comme une œuvre pleinement cinématographique. Les images peinent à transcender le récit, aussi symbolique soit-il, qui finit par se regarder, et se ressentir, comme un objet quelque peu figé dans son concept.

Le court-métrage de Jang Xiaoxuan, Graveyard of Horses réussit mieux à allier symbolique et parti-pris stylistique fort. Seule fiction à part entière de la sélection, le film suit une mère et sa fille au cours d’une nuit de tempête dans la steppe mongole. Assez rugueux dans la forme, le film est saisissant en ce qu’il nous emmène dans un monde de neige où l’on n’est jamais vraiment certain d’où commence le songe et où se cachent les ombres de la nuit. Une scène en particulier intervient au milieu du film : la femme sort dans la tempête et croit apercevoir un visage dans l’obscurité, à peine éclairé par sa torche. Le cinéaste nous laisse libre d’interpréter les images et percevoir les différents niveaux de lecture de ce que l’on voit, ou pas. Cela donne à Graveyard of Horses, une réelle ampleur et une grande richesse de motifs. Néanmoins, il donne aussi le sentiment persistant de moins voir une œuvre en elle-même, que l’ébauche d’un long-métrage en jachère, rendant le visionnage finalement frustrant.

Ce n’est certainement pas ce que l’on ressent devant le court-métrage, An Asian Ghost Story de Wang Bo, véritable clou du spectacle et, le plus abouti des quatre œuvres. Docu-fiction complètement dingue, An Asian Ghost Story emprunte la forme d’un reportage un peu ‘cheap » des années 80 et l’épisode méconnu de l’embargo américain appelé le « Communist Hair Ban » pour aller vers une réflexion sur les relations complexes entre l’Asie et l’Occident et l’impact de la mondialisation sur l’héritage culturel. Résolument ludique et hyper malin, An Asian Ghost Story développe son propos à travers le regard d’un fantôme très particulier puisqu’il s’agit de l’esprit d’une chevelure coupée au décès de sa propriétaire dont l’âme s’y est nichée. On suit avec délice son récit, traversant le XXème siècle, de pays en pays, de perruqueries en familles, tel le témoin immortel des bouleversements du monde. Le film mélange des images d’archives et des scènes de fiction, avec un sens du montage avéré et une malice qui l’emporte largement sur l’aspect déroutant du projet. En effet, Wang Bo propose une œuvre à la fois poignante, réjouissante et étrangement accessible. Ce fantôme attachant semble contenir, en elle seule, le récit d’un pays qui perdure, même si cela devait seulement tenir à une chanson populaire dont la mélodie n’a jamais pu être oubliée. La scène finale, déroutante et envoûtante, résume bien les promesses qu’annoncent ce court-métrage. Elle clôture de la meilleure manière, une sélection qui attise la curiosité et renforce la conviction que les jeunes auteurs du cinéma chinois ont de la ressource.

Claire Lalaut

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