L’édition 2024 du Festival Black Movie de Genève ne propose pas moins que trois courts-métrages de Tsai Ming-liang à la projection : The Night (2021), The Moon and the Tree (2021) et Where Do You Stand, Tsai Ming-liang? (2022). L’occasion de jeter un regard sur les propositions les plus récentes et les plus radicales de l’artiste taïwanais, et de rappeler qu’il n’est pas seulement occupé à torréfier du café avec Lee Kang-sheng et Lu Yi-ching.
The Night (20min, 2021) :
L’une des particularités du cinéma récent de Tsai Ming-liang, à vrai dire depuis sa série du Walker interprétée par Lee Kang-sheng, est de voyager aux quatre coins du globe pour capturer le mouvement du monde et l’espace urbain dans toute sa dimension éphémère. Une suite logique à cette entreprise était naturellement de se rendre à Hong Kong, mégapole tentaculaire en permanente transformation où le nihilisme de la vitesse s’exprime comme nulle part ailleurs. Comme pour décélérer face à cette crise de l’instant caractéristique du monde moderne, Tsai Ming-liang fait de son dispositif un observatoire paisible de l’agitation urbaine.
The Night n’est finalement composé que d’une suite de plans fixes aux abords des rues mouvementées de Causeway Bay, mais documente le rythme des nuits hongkongaises d’une manière si spontanée qu’il s’agit peut-être du moyen le plus éloquent de rendre hommage à cette ville si chère aux yeux de Tsai Ming-liang. Ville dans laquelle il a été invité en 2019 pour interpréter des vieilles chansons chinoises, dont l’une d’elle donnera son titre en chinois au court-métrage : Liang ye bu neng liu ou La belle nuit s’échappe.
The Moon and the Tree (33min, 2021) :
Une autre aspérité du cinéma de Tsai Ming-liang, tout aussi importante que le rapport de l’individu marginal à son environnement urbain, est l’étude des corps et du dépérissement de ces derniers, tant sur un niveau purement organique qu’expressément symbolique. The Moon and the Tree raconte le quotidien de deux stars taïwanaises d’un certain âge d’or désormais révolu : Lee Pei-jing, ou « La Chanteuse de la lune », immobilisée dans un fauteuil roulant ; et Chang Feng, grand acteur de wu xia pian dans les années 1970, qui, lui, approche des cent ans, et dont la beauté est rapprochée à celle d’un arbre séculaire.
Dans la plus silencieuse des simplicités, Tsai Ming-liang portraitise la figure de deux légendes de l’histoire culturelle contemporaine de Taïwan, et s’assure ainsi de témoigner des ravages du temps sur le corps et l’esprit, en préservant toujours ses sujets de la beauté qui leur est due.
Where Do You Stand, Tsai Ming-liang? (22min, 2022) :
Projeté dernièrement au Centre Pompidou à l’occasion de l’exposition et de la rétrospective de Tsai Ming-liang, ce court-métrage documente le retrait du cinéaste à la montagne pendant la pandémie du COVID-19. Il s’y retrouve à collectionner des vieilles chaises et peindre les portraits de ses amis, Lee Kang-sheng et Anong Houngheuansy, coincés au Laos, qui lui manquent beaucoup en ces temps incertains. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une collection d’images parsemée de pensées spontanées de la part d’un artiste dont le droit à l’errance lui a été privé par la situation sanitaire mondiale. Ces chaises vides suggèrent une absence, mais aussi le désir de retrouver quelqu’un s’y assoir un jour de nouveau.
Richard Guerry.
The Night, The Moon and the Tree et Where Do You Stand, Tsai Ming-liang? de Tsai Ming-liang. Taïwan. 2021-2022. Projetés au Festival Black Movie 2024.