Troisième opus de la saga God of Gamblers, God of Gamblers III: Back to Shanghai donne la part belle au personnage de Stephen Chow, pris au piège face à des joueurs dans le Shanghai des années 30, dans une citation avouée de Retour vers le futur. Ce mélange des mixtures made by Wong Jing vaut-il la chandelle ?
Suite à une lutte entre leurs pouvoirs psychiques respectifs, Sing, l’archange du jeu et son ancien adversaire Tai-kun le borgne se retrouvent plongés non pas en 1991 à Hong Kong, leur époque, mais dans les années 30 à Shanghai, où les Japonais commencent à creuser leur sillon. En sauvant un parrain local, Sing s’accorde ses faveurs et tombe sous le charme de sa fiancée…
Nous ne sommes pas tellement dépaysés des précédents épisodes dans ce Back to Shanghai, tant Wong Jing n’a pas peur de sauter à pieds joints dans un maelström de n’importe quoi. En écartant de l’intrigue les personnages d’Andy Lau et Chow Yun-fat, Wong resserre les codes de la franchise sur l’univers du film dans lequel sont apparus Sing (Stephen Chow) et son oncle (Ng Man-tat) : All for the Winner, qui ne fait pas partie de la saga God of Gamblers. L’inconvénient dans tout cela, c’est le manque d’épaisseur scénaristique, qui essaie de faire vivre de manière bancale ces personnages tant bien que mal, uniquement à travers un humour à l’écriture un peu réchauffée, et qui éloigne la série de son concept initial : le jeu. Sur les presque deux heures de métrage, très peu de temps est consacré aux parties de parieurs, l’intrigue préférant laisser Stephen Chow en roue libre, accompagnée d’une Gong Li comme love interest dont le dixième du potentiel d’actrice n’est pas exploité. L’essentiel du film consiste en une succession de gags et quiproquos, enrobés par un semblant de fil rouge, à savoir l’ascension de Sing dans un vague milieu de triade et une drôle d’histoire d’amour avec le personnage de Gong Li, interprétant deux jumelles. En dehors de l’impact humoristique, la façon dont se soudent les composantes de ce fil rouge semble éculée et pensée à la va-vite. On se fera son opinion : où bien le mo lei tau, l’humour absurde cantonais, permet de suspendre l’incrédulité ; ou bien la tentative d’écriture d’un scénario à rebondissements est trop avancée et ruine le peu de romance et d’enjeux que Wong Jing essaie d’injecter. Dans tous les cas, le mélange est trouble et le mo lei tau ne sauve pas complètement toutes les situations ubuesques de la mauvaise facture et de la circonspection du spectateur face à une sortie de scène trop abrupte et invraisemblable.
Reste le talent de Stephen Chow pour les grimaces et les contorsions comiques de son corps. Alors au début de son apogée de star comique de Hong Kong, il donne toute son énergie pour faire vivre son personnage et le film, accompagné par Ng Man-tat qui dispose de ces mêmes attributs de trublion, dans le registre d’un protagoniste plus âgé qui fait parfaitement la paire avec le personnage de Sing. L’un des points positifs du film, outre celui-ci, réside dans le fait qu’à la deuxième apparition (troisième pour ceux qui ont vu All for the Winner), leur figure devient familière et chaleureuse. En réalité, Ng et Chow restituent pour beaucoup un seul personnage comique qu’ils ont forgé dans de nombreux films. La familiarité n’en demeure pas moindre.
En bon cinéaste stakhanoviste, Wong Jing envoie sur les écrans de nombreux « produits ». Tous ne sont pas finis de la même manière, avec le même degré d’inspiration. C’est le cas de Back to Shanghai, recette facile probablement réalisée rapidement pour capitaliser sur la popularité de la franchise et de ses acteurs.
Bonus
Présentation du film par Arnaud Lanuque (7 min). Le spécialiste du cinéma de Hong Kong explique qu’au début des années 1990, la sortie de Retour vers la futur a inspiré plusieurs cinéastes hongkongais et que Wong Jing, en bon opportuniste qu’il est, s’en est saisi, tout comme il s’est saisi de la mode du Shanghai des années 30, revenu sur les écrans grâce à la série The Bunds. Arnaud Lanuque revient également sur la place accordée à Stephen Chow dans cet opus, parfaitement établi comme protagoniste principal, et comment Gong Li, dont c’est la première réelle incursion dans une production hongkongaise, s’est sentie perdue, en décalage avec les rôles dramatiques de Chine continentale dont elle avait l’habitude. Le fait le plus savoureux relaté dans ce bonus est l’existence d’une version du film pour le marché taïwanais, dans laquelle les scènes de Gong Li sont jouées par Sophia Fang, une actrice taïwanaise ; en raison des tensions entre la Chine et Taïwan, la production craignait en effet que la présence d’une actrice continentale ne leur ferme l’énorme marché de l’île de Formose.
Interview d’Albert Mak, script sur God of Gamblers (8 min). Albert Mak fait état du climat sur le tournage de l’époque, plutôt agréable en raison de la sympathie de Wong Jing. Il donne des indications sur la façon dont s’est déroulée l’alternance entre les scènes tournées pour la version originale et celle pour la version taïwanaise. En guise d’anecdote, il raconte comment une erreur d’inattention de sa part lui a valu de devoir faire retourner une scène d’action impliquant un accident. Bien que globalement fluide, le tournage de Back to Shanghai est à l’image de cinéma hongkongais de l’âge d’or, dangereux !
Interview de Yeung Jing Jing, interprète du rôle de Ching, l’assistante de Ding Lik, le personnage de Ray Lui (14 min). Second couteau ayant officié comme artiste martiale pour la Shaw Brothers dès son jeune âge, l’actrice évoque sa carrière et notamment son passage à la chorégraphie de séries d’action. Sur le tournage de Back to Shanghai, elle fait état de l’extrême bonne entente humorale et artistique entre Wong Jing et Stephen Chow, ce dernier aimant proposer des ajouts aux scènes. Elle détaille ce en quoi le tournage en deux versions a affecté ses scènes.
Maxime Bauer.
God of Gamblers III: Back to Shanghai de Wong Jing. Hong Kong. 1991. Disponible dans le coffret God of Gamblers paru chez Spectrum Films en septembre 2023.