La Fondation du Japon, siège de la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP), nous permet d’accéder gratuitement, en ligne, à une sélection de films japonais contemporains dans le cadre de son Festival du cinéma indépendant japonais. Nous nous penchons sur l’audacieux et original Techno Brothers, comédie minimaliste musicale du réalisateur Watanabe Hirobumi, sorti en 2023.
L’intrigue de Techno Brothers tient en une phrase : un groupe de musiciens techno et leur impresario cherchent à se rendre à Tokyo pour enfin lancer leur carrière. L’économie de moyens ne se situe pas seulement dans le synopsis. Les fameux « Techno Brothers » donnant leur titre à l’œuvre ne prononcent pas un seul mot tout le long du film, se contentant de suivre leur agent et de lui laisser passer toutes ses lubies. De même, la cinématographie trahit un budget assez modeste avec des prises de son dans les dialogues parfois vacillantes ou des surexpositions dues à l’utilisation de lumières naturelles.
Une telle entrée en matière pourrait rebuter et laisser supposer un film extrêmement aride. Néanmoins, il se dégage beaucoup de poésie et de douceur de Techno Brothers. Le film a un aspect fascinant renforcé par les nombreux passages de pure démonstration musicale très planants et l’on se surprend à s’attacher très vite à ce groupe de protagonistes farfelus. On pourrait évoquer Ishii Katsuhito ou même certains films d’Adilkhan Yerzhanov dans cette logique de film d’errance mi-contemplatif mi-absurde. Bien sûr, à l’instar des réalisateurs cités, Techno Brothers ne propose pas que de la pure abstraction dans ses situations parfois grotesques. Le film développe en filigrane tout un propos sur l’industrie musicale que l’on peut étendre au milieu de la création en général. Les artistes, en l’occurrence musiciens techno, qui proposent un contenu original et personnel sont remplaçables et ballottés par les investisseurs financiers, le storytelling et contenu marketing détrône la passion et l’individualité, etc. Cette logique est même poussée à l’extrême par le mutisme des personnages des musiciens : seule leur manager parle, non pas en leur nom, mais à leur place. Le propos pourrait parfois sembler simpliste lorsque ces métaphores deviennent très évidentes (la manager empêche carrément les musiciens de se nourrir tandis qu’elle se sert de leurs cachets pour se payer des chambres d’hôtels de luxe et des services à volonté) mais l’ambiance décalée permanente allège le discours parfois à gros sabots. De même, la surenchère d’effets koulechov face à ces personnages des Techno Brothers qui n’expriment rien, ni par la voix, ni par les émotions (sauf rares occasions) pousse à s’attacher encore davantage aux segments musicaux qui révèlent enfin un pan de leur personnalité.
Ces séquences sont les plus réussies du film. Bien évidemment, il est plus facile de les apprécier en n’étant pas réfractaire au genre musical qui donne son titre à l’œuvre, mais même en dehors de cela, la mise en scène très épurée de ces passages et les champs/contre-champs sur le public souvent confus et/ou désintéressé fait atteindre une émotion très crue et efficace. La musique synonyme de fête et de moment de partage social isole les protagonistes face à l’incompréhension du monde qui les entoure. Tokyo devient alors une sorte d’eldorado fantasmé dans lequel ils pourront enfin trouver une oreille attentive, mais en attendant, leur solitude subie les pousse à se laisser dépasser et marcher dessus par quiconque choisit d’en profiter, tant ils ne savent plus partager de lien social.
Techno Brothers réussit à faire de son économie de moyens une vraie force et si le film ne parlera pas forcément à tous les publics, son ambiance vaporeuse et son travail de la représentation musicale méritent le détour. Une découverte très sympathique qui attise la curiosité quant à ses deux suites annoncées, ainsi qu’aux futurs projets de Watanabe Hirobumi.
Elie Gardel.
Techno Brothers de Watanabe Hirobumi. 2023. Japon. Disponible sur le site du Festival du cinéma indépendant japonais.