FESTIVAL DU FILM HONGKONGAIS DE PARIS 2023 – Ebola Syndrome de Herman Yau

Posté le 16 octobre 2023 par

Pour sa 2e édition, le Festival du Film Hongkongais de Paris projette l’indispensable Ebola Syndrome, réalisé en 1996 par Herman Yau

Herman Yau n’en est pas à son coup d’essai en ce qui concerne la Catégorie III et le très cruel et cynique Untold Story, adapté du fait divers des meurtres du restaurant Eight Immortals, a largement contribué à l’ériger en chef de file du genre. Nous changeons légèrement de ton avec Ebola Syndrome, bien plus second degré que son prédécesseur, mais nous sommes loin de perdre en intensité et en jusqu’au-boutisme trash pour autant. Ebola Syndrome nous raconte la charmante histoire de Kai (Anthony Wong), un homme à la moralité plus que douteuse, obligé de s’exiler après avoir commis un triple meurtre à Hong Kong. Il passe alors dix ans en Afrique du Sud en tant commis de cuisine pour un patron de restaurant tyrannique et sa femme patibulaire. En accompagnant ledit patron acheter de la viande à bas prix dans une tribu autochtone, Kai tombe sur une jeune femme africaine souffrante et en profite pour l’agresser sexuellement. Il est alors contaminé par le virus Ebola mais est miraculeusement porteur sain et peut donc poursuivre son existence tranquillement, en refilant allégrement la maladie mortelle à tous ceux qui croisent sa route, sans même en avoir conscience. Qu’il leur tousse dessus, les contamine sexuellement ou même leur fait manger la chair d’autres malades, tous les moyens sont bons quand il s’agit de lancer une pandémie à échelle mondiale. Pour couronner une situation déjà rocambolesque, la fille de deux des victimes du triple meurtre qu’il avait commis croise de nouveau le chemin de Kai et décide de se lancer à sa poursuite pour lui faire payer ses crimes.

Au cas où le synopsis ne suffirait pas à faire office d’avertissement, Ebola Syndrome n’est bien évidemment pas un film à mettre entre toutes les mains. Le public sensible ou peu friand de cinéma qui traite des pires immondices est fortement incité à s’abstenir. Pour les amateurs du genre, toutefois, le film a été, est, et restera probablement, l’un des plus grands films de la Catégorie III, mais également de la production extrême. Il n’est pas si facile de réaliser un film dépassant aussi franchement toutes les limites de l’acceptable et d’aboutir à un résultat digne d’être vu et apprécié en dehors d’une recherche pure de sensations. Ça l’est encore moins lorsque le film en question ne semble même pas vouloir s’encombrer d’un message, d’une quelconque morale ou simplement de recul sur ce qui est montré. Herman Yau a, en effet, eu beau défendre son long-métrage en disant qu’il désirait parler de lutte de classes (avec des exemples plus ou moins convaincants comme lorsqu’il explique dans le commentaire audio que le film est anarchiste parce qu’on y voit une prostituée, qui fait donc « partie de la révolution prolétarienne »), dans les faits, cela n’apparaît que très peu, si l’on plisse les yeux. Le film semble davantage avoir été conçu pour repousser les limites de la Catégorie III que de traiter sérieusement des thématiques présentes dans le film.

Pourtant, ce périple absurde et immonde touche droit au but, notamment, grâce au talent incontestable de son interprète principal. Anthony Wong, qui brillait déjà dans le rôle du tueur d’Untold Story, livre une performance inoubliable, qui vaudrait à elle seule que l’on regarde le film. Il opte pour une interprétation très naïve et infantile du personnage de Kai, ce qui, en prime d’être très cohérent avec le ton du film, le rend plus magnétique que s’il avait tenté d’être intimidant de façon plus traditionnelle. Wong habite chacune des émotions (en roue libre) de Kai avec une sincérité et un premier degré saisissants, ce qui rend les séquences violentes plus dérangeantes encore et surtout la comédie bien plus efficace.

La comédie constitue d’ailleurs le second argument choc de ce film. Herman Yau avait déjà réussi à insuffler dans Untold Story, pourtant bien plus glauque dans son ambiance, des séquences d’une hilarité aussi surprenante que bienvenue, et là encore, il repousse les limites avec Ebola Syndrome. Certes, encore faut-il être sensible à un humour noir, bas de plafond, ou bien les deux à la fois, mais peu de films ont aussi bien maîtrisé cette combinaison parfois dommageable. Le « Je tue des gens, c’est interdit ? » que répond Kai à son collègue découvrant les cadavres du triple meurtre qu’a commis celui-ci et lui demandant ce qu’il s’est passé, amorce le ton du film qui ne cesse par la suite d’approfondir ce recul comique dans l’innommable et l’abject. Des séquences comme celle dans laquelle Kai écoute ses patrons avoir des relations sexuelles et se masturbe dans un steak à destination des clients pourraient sembler, sur le papier, trop graveleuses pour fonctionner. Or, la magie humoristique opère. Tout cela nous prépare également à un dernier quart de film magistral, où nous retrouvons toute l’énergie, la cocasserie, la subversion du film à son paroxysme. Yau y conserve un premier degré dans l’action et la sensation, nous offrant une scène qui n’a rien à envier aux films d’action de l’époque, tout en dépassant des sommets d’absurdité dans la narration.

La maîtrise des contrastes et de la cinématographie de Yau élève véritablement Ebola Syndrome au rang de chef-d’œuvre incontournable de la Catégorie III, en alliant tout ce que ce genre particulier a su produire de meilleur. Ceci n’a rien d’étonnant, au vu de sa première réussite qu’était Untold Story dans la même veine et lorsque l’on sait de quoi l’homme est capable dans tous les genres différents qu’il investit, que ce soit en sa qualité de réalisateur, ou même lorsqu’il dirige la photographie pour Tsui Hark. Si l’on est tatillon, on peut regretter quelques passages un peu trop longs mais ils se font vite oublier devant la qualité rythmique de l’ensemble. Ebola Syndrome est apparu comme un chant du cygne anticipé dans une Catégorie III qui commençait déjà à se boursoufler et à tourner en rond, victime de son succès et encourageant les producteurs à produire en continu des œuvres de qualité très inégale. Yau rend alors ses lettres de noblesse au trash et prouve que l’on peut dépasser toutes les limites, en divertissant son spectateur et en restant intègre. Le film communique ainsi une bonne humeur surprenante, et échappe à un cynisme présent dans des œuvres de facture similaire mais dont la communication émotionnelle reste limitée, comme on a pu le constater récemment dans des films comme The SadnessEbola Syndrome fait regretter l’époque où il était encore possible de construire des films pareils avec trois bouts de ficelle et deux semaines de temps, en misant sur l’énergie punk du réalisateur et de son équipe ainsi que sur une liberté totale d’expérimentation. Lors de la présentation du film au PIFFFHerman Yau expliquait que pour lui, il représente la jeunesse et il s’agit là peut-être de la meilleure formulation pour rendre hommage aux ambitions et à la fougue communiquées par Ebola Syndrome.

Les réfractaires à ce type de cinéma devraient probablement passer leur chemin mais les amateurs de trash décalé trouveront leur compte et bien plus encore, dans ce qui constitue l’une des pierres angulaires du genre, qu’il s’agisse de Catégorie III, mais également au sens large et universel.

Elie Gardel.

Ebola Syndrome de Herman Yau. Hong-Kong. 1996. Projeté au Festival du Film Hongkongais de Paris 2023