LE FILM DE LA SEMAINE – Jet Lag de Zheng Lu Xinyuan

Posté le 22 février 2023 par

Remarquée lors de nombreux festivals avec son premier long-métrage The Cloud in Her Room en 2020, la cinéaste chinoise Zheng Lu Xinyuan confirme son désir de faire du cinéma un art éminemment intime, personnel et introspectif, à même de traduire l’évanescence et la fragmentation des souvenirs en images. Jet Lag est en salles le 22 février 2022.

Début 2020, l’épidémie de covid-19 immobilise brutalement la réalisatrice et sa petite amie Zoé dans une chambre d’hôtel en Autriche. Alors qu’elle observe les rares passants sous ses fenêtres, Xinyuan se remémore progressivement un voyage à Mandalay qu’elle fit avec sa grand-mère au printemps 2018 pour assister au mariage d’un parent. En 2021, le coup d’État qui s’installe les militaires à la tête du Myanmar devient subitement très proche. Le film n’a de cesse de faire des allers-retours entre l’ici et l’ailleurs, entre l’intime et l’Histoire, entre le souvenir et le présent.

À peine quelques longs et courts métrages à son actif, et voilà que Zheng Lu Xinyuan se dessine déjà comme l’une des réalisatrices chinoises contemporaines les plus singulièrement et esthétiquement identifiées de son époque. The Cloud in Her Room aspirait à convertir le caractère fuyant de la mémoire en matérialité et en textures, soumettant la fiction à adopter la forme, disons-le, radicale, d’un manifeste poétique aussi impénétrable qu’hospitalier pour quiconque conçoit son identité au travers d’un espace et d’un déracinement. Ces réminiscences lointaines qui se confondent en nostalgie, Zheng Lu Xinyuan les infuse avec une intention et un style si particuliers que chaque image devient la signature intime d’une réalisatrice qui se façonne en même temps que ses souvenirs.

Jet Lag, sa nouvelle et toute dernière réalisation en date, a été tournée pendant le confinement de 2020, alors que la cinéaste se trouvait dans une chambre d’hôtel en Autriche en compagnie de sa petite amie. À la manière de Proust, d’une réactivation soudaine et inattendue de la mémoire, elle se souvient progressivement d’un voyage passé en Birmanie en contemplant la rue depuis sa fenêtre. Les images d’archives de cette pérégrination au pays des Milles Pagodes s’entremêlent avec de purs exercices de style à partir des souvenirs de Zheng Lu Xinyuan, ou plutôt de ce qu’ils ont de plus flottants et évasifs. En effet, Jet Lag ne s’apparente pas plus à un carnet de voyage, formé depuis des extraits vidéos personnels et des images anonymes prises sur internet, qu’à une autofiction obsédée par l’impermanence de toute chose, le renouveau et la disparition. Le noir et blanc cloisonne irrémédiablement le métrage dans les contrées du souvenir, mais la mosaïque d’effets de mise en scène et de montage, pour la plupart sans cohérence narrative et remis au cinéma expérimental, le rapportent aussi bien à l’ère contemporaine qu’aux individus qui l’habitent. Jet Lag donne l’étrange impression que le décalage horaire et l’état de conscience somnolente qui en résulte se projettent dans les formes, en ce qu’une scène isolée semble toujours en rupture avec celle qui la précède ou lui succède.

Être partout et nulle part à la fois, c’est en quelque sorte l’expérience sensorielle immersive que Zheng Lu Xinyuan promet et confesse en exhibant les doutes, les peurs et les raisons du labyrinthe émotionnel dont Jet Lag prend la forme. Certes, le voyage est intime, mais les natures d’images, les époques, les localités et les sentiments, eux, ne peuvent être plus universels. Parler de soi pour interroger l’autre, peut-être est-ce là, quelque part entre le mystère et l’évidence, que Zheng Lu Xinyuan a choisi d’ériger son sanctuaire artistique.

Richard Guerry.

Jet Lag de Zheng Lu Xinyuan. 2022. Autriche, Suisse. En salles le 22/02/2023.

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