Le Festival Kinotayo met à l’honneur, cette année, le réalisateur japonais Soda Kazuhiro. Retour sur son diptyque documentaire Campaign (2007) et Campaign 2 (2013), qui a pour personnage principal Yamauchi Kazuhiko, un novice en politique, se présentant à deux reprises à des élections municipales. Son parcours est pour le moins étonnant et donne une vision à la fois ridicule et inquiétante de la politique japonaise.
Campaign et Campaign 2 sont similaires dans le traitement cinématographique. Le réalisateur Soda Kazuhiro prend le parti pris du cinéma-vérité en filmant au plus près Yamauchi Kahuziko et en s’interdisant – autant que faire se peut – tout commentaire. Il appelle cela des « films d’observation ». Un mélange entre Robert Frank et l’émission belge Strip-tease. L’histoire de Campaign commence en 2005 lorsque Soda Kazuhiro apprend que Yama-san, un ancien camarade de lycée, se présente aux élections municipales de Kawasaki, soutenu (et parachuté) par le parti libéral-démocrate (PLD). Complètement novice en politique, Yama-san bénéficie de la logistique du PLD. La campagne de Yama-san consiste à se présenter à la foule en criant dans un mégaphone, en pleine rue, et à suivre les instructions du PLD : tracter à la sortie des métros, assister à des réunions politiques, et surtout, faire ce qu’on lui dit.
Sans compter les séquences ridicules et embarrassantes dans lesquelles Yama-san harangue les passants indifférents avec son mégaphone, cette campagne municipale n’est pas si différente qu’en France… Ce n’est pas le cas dans Campaign 2, documentaire encore plus fascinant. En avril 2011, trois semaines après la catastrophe de Fukushima, Yama-san décide de se présenter à nouveau aux élections municipales de Kawasaki en portant un message anti-nucléaire. Premier problème : il lui reste une vingtaine de jours pour mener campagne. Second problème : il se présente en candidat indépendant, sans aucun soutien politique. Un campagne vouée à l’échec… d’autant qu’elle pâtit d’une stratégie pas banale : utiliser un site Internet, coller des affiches dans la rue mais surtout ne pas faire campagne dans la rue. Exit les séances de mégaphones devant le métro et les arrêts de bus.
On pourrait s’attendre à un documentaire marqué par un fort discours anti-nucléaire mais cet aspect est finalement secondaire. A part une discussion sur les mensonges du gouvernement sur l’importance de la radioactivité, le Japon post-Fukushima se distingue peu du Japon de 2005. Certains magasins arborent des affiches sur les efforts consentis pour réduire la consommation électrique. Le discours anti-nucléaire revient seulement de façon spectaculaire lors de la dernière scène du film.
Soda Kazuhiro filme un Yama-san tantôt hilare (il rigole avec un autre candidat en lui disant que sa campagne lui coûte seulement 700 euros), tantôt en colère contre la passivité des Japonais et le discours pro-nucléaire des politiques. Mais comme Yama-san ne mène aucune réelle campagne (se contentant de vérifier que ses affiches de campagne ne se décollent pas), le documentariste doit élargir son sujet et suivre les autres candidats. C’est l’écart immense entre la campagne de Yama-san et celles des autres candidats qui crée le malaise chez le spectateur. Affublés d’un mégaphone, ces candidats se contentent de répéter leurs noms toutes les trois secondes à des passants fantomatiques et téléguidés vers le bus ou la station de métro. Le spectateur apprendra dans le film que lors des élections municipales, les candidats ne peuvent pas tenir de discours politiques dans la rue. Qui est donc le plus fou ? Un candidat qui s’époumone à épeler son nom en pleine rue ou un candidat qui se contente de coller des affiches ?
Campaign et Campaign 2 sont deux farces parfois tragiques sur la déchéance de l’action politique au Japon. Les longues séquences filmées par Soda Kazuhiro accentuent le ridicule des situations, surtout quand le documentariste est confronté en 2011 à des personnalités politiques qu’il avait déjà fréquentées en 2005… et qui n’ont pas du tout apprécié le film Campaign ! Ces deux documentaires sont donc hautement recommandables même si l’on peut regretter parfois un manque de concision de la part du réalisateur, qui aurait pu sortir les ciseaux à plusieurs reprises.
Marc L’Helgoualc’h
Campaign et Campaign 2 de Soda Kazuhiro. Japon. 2007, 2013. Projeté au Festival Kinotayo 2022