FFCP 2022 – Entretien avec Lee Il-ha (I am More)

Posté le 3 novembre 2022 par

Nous avons eu la chance de rencontrer Lee Il-ha, réalisateur du documentaire I am More, présenté en exclusivité au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2022.

I am More retrace l’histoire personnelle de More, danseuse de ballet et artiste drag, entre ses performances dans le quartier Itaewon de Séoul, la préparation d’un spectacle à New York pour célébrer les 50 ans des émeutes de Stonewall, sa vie quotidienne et ses relations intimes avec sa famille ou son compagnon russe de longue date, Zhenya.

Vous avez déjà réalisé deux autres documentaires, Crybaby Boxing Club et Counters, avec des sujets très différents de celui-ci. Comment en êtes-vous venu à travailler sur I am More ?

Durant le tournage de Counters, mon film précédent, je travaillais avec un photographe nommé Rody. Rody avait photographié More dans un bar, au Japon, et en avait tiré la photo que l’on voit dans le film : celle où elle a les jambes écartées. C’était une photo très marquante, elle m’est restée en tête et j’ai demandé à Rody s’il pouvait m’aider à entrer en contact avec elle. J’habite au Japon depuis des années, mais je me suis rendu à Itaewon spécialement pour la rencontrer et tout le documentaire est parti de là.

Vous avez décidé de partir d’elle plutôt que du sujet, si je comprends bien. C’est votre façon habituelle de procéder ?

Oui, particulièrement dans le cas de I am More. Je trouvais More tellement inspirante que je voulais entièrement baser le film autour d’elle. Je me suis beaucoup posé la question de comment réussir à retranscrire au mieux sa vie, et j’ai finalement décidé de faire de ses performances artistiques le cœur du film. En Corée, je parle même de I am More comme d’un documentaire musical. J’aimais beaucoup ce contraste chez More : elle est entre l’extravagance, le glamour et quelque chose de traditionnellement très coréen. Ça m’a inspiré, et ça m’a poussé à me creuser la tête sur la façon de retransmettre cet équilibre à l’écran.

Comment avez-vous travaillé avec elle, est-ce qu’elle est intervenue pendant l’écriture ? De même, en ce qui concerne les chorégraphies : elles venaient plutôt d’elle, de vous, de vous deux ?

On a travaillé ensemble sur tous les aspects, depuis l’écriture jusqu’au choix des costumes. Pour les performances, on choisissait une chanson ensemble, et après, on discutait de comment monter une chorégraphie qui puisse aller avec. Normalement, dans un documentaire, la post-production est très importante et elle peut transformer entièrement le film mais pour I am More, nous avions tellement travaillé en amont et en nous questionnant petit à petit dans cette collaboration que ça a été très cadré.

Est-ce que vous avez tout de même laissé une part d’improvisation ?

Ça dépendait des types de scènes. Pour les performances, nous avions tout préparé à l’avance et nous nous sommes tenus à ces préparations. En ce qui concerne la vie quotidienne de More, nous n’avons que très peu préparé à l’avance ce que nous allions filmer. Durant environ 2 ou 3 ans, nous avons régulièrement filmé son quotidien, en la laissant vivre sa vie. Ça a aussi fait évoluer le film : initialement, More n’avait pas trop envie qu’on filme sa famille mais au fur et à mesure du tournage et qu’elle s’habituait à être devant les caméras, elle a fini par accepter. La séquence dans laquelle More reparle à un ancien harceleur du lycée n’était pas non plus prévue, au début du tournage. More avait retrouvé par hasard son adresse donc nous sommes allés lui rendre visite avec une caméra, sans savoir comment les retrouvailles allaient se dérouler.

Dans le film, More vit plusieurs évènements importants : elle est sélectionnée pour participer à un spectacle célébrant les 50 ans de Stonewall à New York, elle rencontre l’acteur réalisateur et écrivain John Cameron Mitchell… Est-ce que tout cela était prévu à l’avance ou bien est-ce que c’est intervenu une fois que le tournage avait déjà commencé ?  

Le spectacle était prévu. More avait déjà été prévenue qu’elle allait y participer avant que nous débutions le tournage. En ce qui concerne John Cameron Mitchell, nous l’avons contacté durant la production pour savoir s’il accepterait d’apparaître dans le film et il a été très réceptif. Il a été vraiment naturel malgré la présence des caméras et surtout très sympathique. C’est vraiment une bonne personne et il était toujours partant. Nous avons eu beaucoup de chance qu’il accepte. Ça a été pareil en Corée de façon générale. Nous avons reçu de nombreuses réponses positives et enthousiastes lorsque nous contactions des gens pour les filmer ou pour louer des lieux de tournage et ça nous a grandement aidé à faire aboutir le projet.

En parlant de John Cameron Mitchell, vous évoquez son film Hedwig and the Angry Inch dans I am More, est-ce que d’autres films vous ont inspiré de façon plus implicite ?

Les influences extérieures concernaient majoritairement des séquences précises mais j’avais aussi quelques inspirations globales avant de lancer le tournage, les principales étant La La Land et Baby Driver. Je voulais même leur rendre hommage avec une grande scène musicale pour débuter le film. J’y avais beaucoup réfléchi. Elle devait avoir lieu au Musée d’histoire de Séoul, à Sinmunno, et réunir de très nombreux figurants. Nous avions même planifié la chorégraphie. Malheureusement, nous n’avons pas eu les moyens, notamment financiers, de mettre ça en place.

Après ces questions de mise en place, de production et d’inspirations, parlons un peu des thématiques du film. More raconte des expériences assez dures vécues durant son adolescence et son début d’âge adulte, à l’école de danse ou bien pendant son service militaire. Trouvez-vous que la situation en Corée a évolué depuis, vis-à-vis de l’acceptation de l’homosexualité et de la transidentité ?

Ça s’améliore petit à petit mais c’est vrai que ça dépend de quelle partie de la population on parle. Dans la génération de mes parents, chez les personnes plus âgées, on ne peut pas parler d’une réelle évolution. Chez la jeune génération, c’est différent. Ils sont plus réceptifs à d’autres influences et d’autres cultures et ils se battent davantage pour faire valoir des idées nouvelles qui ne sont pas forcément bien perçues par les anciens. Je pense qu’il faudra encore du temps pour que ce renouvellement de mentalité soit effectif. En attendant, il y a trop de facteurs qui bloquent ces avancées, notamment la religion qui a encore un énorme impact, en Corée. Je reste optimiste pour les générations à venir, cependant.

Vous vivez au Japon depuis un moment, quelles sortes de différences observez-vous sur ce plan entre ces deux sociétés ?

Le Japon est plus ouvert à ce niveau-là. En Corée, il y a encore un gros blocage en ce qui concerne toutes les formes de diversité sociale. Même si la jeune génération évolue, l’extrême-droite continue d’être très présente et de se faire entendre. Le Japon n’est pas non plus extrêmement progressiste mais la population est plus tolérante par rapport aux problématiques LGBT, de façon générale. À Shibuya, par exemple, ils ont commencé à reconnaître des unions civiles entre personnes de même sexe. En Corée, ça me paraîtrait encore malheureusement impensable. Nous avons encore beaucoup de retard. Pendant la crise du Covid-19, il y avait eu un cas déclaré à Itaewon, qui est le quartier le plus LGBT-friendly de Séoul et ça avait engendré des réactions très dérangeantes. Il y avait des gens, sur internet, qui commençaient même à associer le virus du Covid et la population LGBT et répandre des discours de haine en les accusant d’être à l’origine de la pandémie. Je me demande d’ailleurs si les différences entre la Corée et le Japon à ce niveau ne proviennent pas d’une différence culturelle sur la facilité à exprimer son opinion. Les Japonais sont plus réservés sur leurs opinions politiques et leur point de vue, tandis que les Coréens s’en cachent beaucoup moins et sont plus vocaux. Dès lors, on observe plus de discours publics de haine en Corée qu’au Japon.

Pour clôturer cet entretien, nous avons une question un peu traditionnelle à East Asia. Pourriez-vous me parler d’une séquence de film qui vous a particulièrement touché ou marqué ?

Est-ce que je peux citer mon propre film ? (rires). Je pense que ce serait dans I am More, quand More regarde la télé avec son père en plan-séquence. J’avais trouvé ça très intime et marquant durant le tournage et j’étais très content du résultat, et très ému, quand j’ai vu le résultat au montage pour la première fois.

Propos recueillis par Elie Gardel le 26/10/2022 à Paris.

Remerciements à Marion et à toute l’équipe du FFCP.