Le cinéaste Im Sang-soo est l’invité d’honneur du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Le festival se replonge donc dans ses chefs-d’œuvre, notamment The Housemaid, réalisé en 2010.
Dans les montagnes de Séoul, un couple de la haute bourgeoisie vit dans l’ostentation d’autrefois. Une maison sublime, des œuvres d’art, des airs d’opéra, une gouvernante installée, une servante interchangeable. Le tableau est parfait. Jeunesse, beauté, richesse. Et pour pimenter les loisirs ou asseoir l’ego, rien de mieux qu’exercer son pouvoir de manipulation sur le petit personnel. Euny, la bonne, est la femme à tout faire, même l’amour. On l’utilise comme une distraction humaine destinée à être humiliée sans représailles. Dans cette Corée-graphie, le bal des irrévérences pourrait bien la pousser par derrière et la faire trébucher dans le vide. Allez savoir de quoi les Go sont capables pour y arriver…
Dans un monde où l’argent a vocation à résoudre les affronts comme tous les autres problèmes, certains ne supportent pas qu’on mette un frein à leurs envies les plus folles car cela signifie qu’ils ont tous les droits. Pour ces personnes, les repères du bien et du mal ont été oubliés, et la morale est si encombrante qu’on la supprime. Si les apparences sont préservées, la bienséance est sauve. Pour le reste, ces vils héros confondent arrogance et élégance. S’ils se permettent de tout se permettre avec un snobisme désabusé, le fait que cela puisse révolter le commun des mortels les effleure à peine.
Dans le même temps malheureusement, c’est toute une génération de pauvres Coréens qui est fascinée par ce mode de vie désinvolte. Nous avons donc la jalousie des basses classes d’un côté et le dédain des rupins de l’autre. Dans ce contexte, Euny la belle bonne aimerait tant connaître ce fruit défendu qui la fait saliver depuis le berceau. Croquer la pomme, vous vous dites. Touché ! Il est vrai que c’est divin aux premiers sens. Aux seconds, ça l’est sans doute déjà un peu moins, puis vient l’amertume, mais trop tard. On éprouve de la compassion pour Euny, si innocente qu’elle croyait pouvoir faire partie de cette engeance en se prostituant une à deux fois avec le maître de maison. Les âmes compatissantes objecteront qu’elle n’avait pas le choix, mais ce serait abdiquer, et cette idée nous est insupportable. Quoiqu’il en soit, Euny n’est pas née avec une cuiller d’argent dans la bouche mais plutôt avec un torchon dans la main, et tous ses efforts pour l’oublier n’y peuvent rien changer…
Im Sang-Soo nous met dès le départ sous tension croissante. Il y a d’abord les décharges érotiques provoquées par les tenues échancrées et les postures sexy d’Euny. Viennent ensuite ses ébats clandestins avec Hoon (le vicieux père de famille), qui réalise au passage un fantasme de domination masculine aussi cliché que celui de la secrétaire. La dissimulation de l’adultère devient alors un secret trop lourd à porter seul. Les complications qui s’en suivent sèment la zizanie, chacun souhaite se venger du voisin et surtout de la voisine. Dès lors, chaque réplique est une gifle portée à Euny, tandis que ses bourreaux n’y voient là qu’une gigantesque farce.
La conclusion du film est donc décalée et laisse le spectateur dans le flou. Mais on ne s’attache pas trop à ce détail tant la photographie est brillante, le cadrage fin et les décors très cossus. Les prises de vues originales en contreplongée ont parfois l’audace de nous faire sourciller et les quelques distorsions du panorama nous donnent l’impression d’avoir été enfermés dans un aquarium, pris au piège et désarmés.
L’intelligence de Im Sang-Soo est ici de varier les tons, tantôt sérieux tantôt second degré, pour brouiller les pistes du spectateur et pousser le suspense à son comble. On s’attendait à une histoire de sexe et de tromperie classique, mais non. On pressentait une bifurcation plus pointue vers le triolisme ou le fétichisme et son euphorie débridée. Non plus. On s’aperçoit soudain qu’une autre histoire a commencé, une mise à mort peu scrupuleuse dont Euny va faire les frais. Une fois balayée, elle sera remplacée sur le champ, sans regret. Im Sang-Soo nous a sympathiquement menés en bateau et on éprouve un certain plaisir à s’être laissé prendre.
Dorian Sa
The Housemaid de Im Sang-soo. Corée. 2010. Projeté au FFCP 2022