Déjà disponible en VoD sur Outbuster et en Combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films, The Great Buddha+, long-métrage taïwanais de Huang Hsin-yao sera visible jusqu’au 3 novembre sur la plateforme VoD MK2 Curiosity. Il s’agit de la version longue du court-métrage The Great Buddha, sorti trois ans plus tôt, avec les mêmes acteurs principaux.
Un ramasseur de déchets à recycler et le gardien d’une petite usine de fabrication de Bouddha en bronze décident, par un soir d’ennui dans la cabine de garde de l’entreprise, de visionner la dashcam de la voiture du patron. Passées les séquences sans intérêt de conduite sur les routes du sud du pays, s’observent des liaisons moralement limite, et même pire…
Derrière The Great Buddha+ et son réalisateur Huang Hsin-yao, se cache un autre nom : Chung Mong-hong, le réalisateur de Parking avec Gwei Lun-mei et Godspeed, tous sortis en vidéo chez le même éditeur. Chung Mong-hong est pour l’occasion chef-opérateur de The Great Buddha+ et surtout, producteur. Son influence se fait sentir à plusieurs niveaux : on retrouve ses acteurs fétiches tels que Nadow et Leon Dai – ce dernier étant utilisé à même escient dans les films de ces deux metteurs en scène, à savoir le plus beau garçon de tous les acteurs mais très enlaidi par la composition qu’il doit livrer – ; la mise en avant du sud de Taïwan comme décor de cinéma, loin de Taipei ; et l’utilisation du registre de la comédie noire pour montrer l’envers de Taïwan, la misère sociale de certaines poches de la population. On peut imaginer que Chung Mong-hong est en train de créer un groupe d’acteurs et d’auteurs à Taïwan, en nous rappelant que la création d’une bande lors de la nouvelle vague taïwanaise des années 1980 a généré nombre de chefs-d’œuvre.
Là où Godspeed se révélait particulièrement puissant dans le déploiement de cette colère politique, The Great Buddha+ se montre plus contenu en apparence. On peut d’abord considérer cela comme un frein à l’attention, comme si le film se montrait trop réservé sur le ton qu’il adopte pour captiver. Malgré tout, la critique sociale est là dès le départ, à travers ces décors de campagnes, de tôleries et bien entendu ses deux rôles principaux, qui nous paraissent en ruine tant la misère s’est abattue sur eux. Les deux acteurs ont le jeu juste, correctement millimétré par un metteur en scène à l’intention claire, d’autant qu’il s’agit d’une première fois en tant que comédien pour l’un d’entre eux (Cres Chuang est réalisateur de documentaires à la base). La colorimétrie du film prend alors son sens. La vie réelle est en nuances de gris et les vidéos de la dashcam en couleur. Le quotidien est morose et terne, et seul le voyeurisme offre toutes sortes de couleurs. Ce choix artistique pourrait presque sembler trivial de prime abord tant il est simple, mais une fois énoncé, son aspect risible contribue au comique cynique du film. À ce titre, il est même plus percutant que Godspeed qui cherche à se vendre ainsi sans vraiment le vouloir. Par petites touches, The Great Buddha+ balance inopinément des séquences ridicules par rapport à la situation, telle la photo utilisée pour l’enterrement. Il se crée alors une diégèse comique originale et pleine de personnalité. Au final, les choses que les protagonistes verront dans les vidéos de la dashcam surprennent à peine, à l’image de la fatalité de la vie qui s’abat sur eux. En revanche, le crime qu’ils y découvriront permet d’enfoncer le clou sur la noirceur du monde, sur ses puissants qui dirigent, baisent, se corrompent… Narrativement, la fin se tend un peu grâce à ces péripéties, sans omettre d’insérer cet humour savoureux.
Chung Mong-hong et Huang Hsin-yao défrichent de nouveaux terrains à Taïwan, via des paysages cinématographiques inédits et de nouvelles têtes, avec une rengaine sociologique presque galvaudée mais en constituant un sens de l’humour particulier, moderne, chinois, différent de la comédie cantonaise qui a fait des petits en Chine continentale. En somme, les deux compères créent un cinéma profondément taïwanais, de l’affirmation de l’identité, ou du moins, de la spécificité du pays, jusqu’à à la critique générale de sa société, comme tout artiste observateur de son temps. On a le sentiment que cette misère est la même partout, tout le temps, et c’est assez révélateur.
Maxime Bauer.
The Great Buddha+ de Huang Hsin-yao. Taïwan. 2017. Disponible sur MK2 Curiosity, jusqu’au 03/11/2022