LE FILM DE LA SEMAINE – Juste sous vos yeux de Hong Sang-soo

Posté le 21 septembre 2022 par

Juste sous vos yeux est le second long métrage réalisé en 2021 par Hong Sang-soo. Alors que le premier, Introduction, est sorti il y a quelques mois en France, on découvre enfin ce second long-métrage au cinéma, grâce à Capricci.

Une femme qui garde en elle un grave secret rencontre un jeune réalisateur qui lui demande de rejoindre son projet…

« Tout ce que je vois est grâce, pas d’hier ni de lendemain. Mais le moment présent est paradis »

Le 26eme long métrage de Hong Sang-soo débute par cette note d’intention et une ambiance déjà très mélancolique. Sa structure se calque sur son personnage principal : elle est comme Sang-ok, énigmatique dans les premiers instants, très claire par la suite, toujours émouvante.

L’année 2021 pour Hong semble avoir été celle de la transmission, de ce qu’on a donné mais également de ce qu’on laisse. Après les peurs d’un futur trop incertain d’Introduction, le cinéaste observe ce qu’on a « juste devant les yeux », de la malédiction que porte l’être humain de ne pas pouvoir jouir totalement de l’instant présent. L’observation comme toujours, de très triviale, devient de plus en plus complexe.

La force du scénario ici réside dans les non-dits et le dévoilement progressif des motivations de Sang-ok. Le point culminant est la rencontre du personnage principal avec un réalisateur, évidemment alter-ego du cinéaste. Comme toujours chez Hong, ce sera par l’alcool que les langues se délieront. Avec beaucoup d’autodérision, il substitue le sempiternel soju au baijiu, l’équivalent chinois, et donne enfin les clés de l’œuvre, dans ce petit bar privatisé qui s’appelle Novel, tout un roman.

Avant cette séquence, Sang-ok discute avec sa sœur, croise quelqu’un qui la reconnaît, mange des tteokbokkis, revient dans la maison de son enfance, là ou le jardin paraissait bien plus grand. Elle essaie de trouver en chaque instant la grâce, de vraiment voir ce qu’il y a en face d’elle. La beauté du film réside dans les yeux et la démarche de Lee Hyeyoung. A la fois solaire et fantomatique, elle donne à Sang-ok des allures de force spectrale revenant pour essayer de rétablir quelque chose. Hong n’utilise pas ici le noir et blanc et les étendues désertiques de Hotel By The River pour tenter de figurer une tristesse insondable. Il filme en couleur les bâtiments en construction, les jardins fleuris, le cuir d’un portefeuille que Sang-ok reçoit en cadeau. Tout ce qui évoque le temps qui passe, ce que le personnage a vécu ou ne verra jamais. Les lieux que le cinéaste filme d’habitude prennent a posteriori une autre couleur. La petite ritournelle Hongienne, en perpétuelle fluctuation, se mue ici en élégie bouleversante.

Cette grâce que le personnage cherche, Hong parvient à la capter, donnant comme toujours profondeur et intensité à des postulats de base très minces. « Vos films sont comme des nouvelles » dit Sang-ok au réalisateur. Tout est dit en 1h26 avec concision, intelligence et sensibilité. Il continue de filmer les petits riens, les regards, les regrets ou les envies. Juste ce qu’on a devant les yeux.

Jeremy Coifman.

Juste sous vos yeux de Hong Sang-soo. Corée du Sud. 2021. En salles le 21/09/2022