NIFFF 2022 – Demigod: The Legend Begins de Chris Huang Wen-chang

Posté le 14 juillet 2022 par

Parmi la vaste sélection du Festival International du Film Fantastique de Neuchâtel 2022 se cache un petit trésor venu tout droit des ateliers d’animation taïwanais. Demigod: The Legend Begins ouvre les portes d’un monde encore inexploré des yeux du public occidental, mais ô combien populaire depuis des décennies à Taïwan : le spectacle de marionnettes. Chris Huang Wen-chang, pontife du milieu, délivre un film d’arts martiaux épique où techniques d’animation modernes et ancestrales se rencontrent pour le plus époustouflant des résultats.

Contre l’avis de son maître, Su Huan-jen s’immisce dans des luttes de pouvoir opposant différents clans. Son erreur lui coûte cher : il se retrouve au cœur d’une conspiration impliquant un mégalomane aux forces obscures.

Si Demigod: The Legend Begins témoigne d’un savoir-faire moderne évident en matière d’animation, son parti pris technique et esthétique ne représente aucunement la lubie d’un réalisateur un peu trop ambitieux pour son époque, pas plus qu’un OVNI dans le cinéma taïwanais contemporain. La série télévisée Pili, diffusée sur le petit écran depuis 1984, est toujours en cours de diffusion et consiste en un spectacle de marionnettes sur fond de récits d’arts martiaux et de fantasy xianxia. C’est aujourd’hui encore l’une des émissions les plus populaires à Taïwan, appréciée pour ses images générées par ordinateur lors des séquences d’action et pour la conception délicate de chaque décor et marionnette du programme. À l’origine, le spectacle de marionnettes est typique des opéras de la région proche du Fujian et trouve naturellement un ancrage culturel fort à Taïwan, où on le nomme budaixi. Le nom de Chris Huang Wen-chang est indissociable de l’univers de Pili depuis que ce dernier réalise le film spin-off Legend of the Sacred Stone en 2000. Mais lui non plus ne vient pas de nulle part. En fouillant ici et là la biographie du metteur en scène, on découvre que son grand-père, Huang Hai-tai, était un éminent maître marionnettiste de l’île au cours du XXème siècle. Une statue est même érigée en son nom dans le comté de Yunlin, berceau de l’art des marionnettes taïwanaises. Chris Huang est le parfait désigné pour reprendre le flambeau familial et permettre tout à la fois de pérenniser ce patrimoine et d’apporter un vent de fraîcheur au paysage de l’animation sinophone.

Demigod: The Legend Begins assure donc la continuité d’un héritage et s’offre au NIFFF comme une porte d’entrée idéale à l’animation traditionnelle taïwanaise. Si le style bien particulier peut désarçonner le non-initié dans les premiers instants, il prend aussi vite goût à l’expérience esthétique que le métrage procure. Une véritable atmosphère fantaisiste s’installe, non pas du fait du récit typiquement wuxia, mais du syncrétisme entre les différentes techniques d’animation. La CGI côtoie harmonieusement la manipulation des marionnettes et leurs actions à l’écran. L’animation oblige d’habitude à adopter certains registres, tons, répertoires de formes et cadrages qui lui sont propres, mais Chris Huang donne la sensation que l’espace peut être utilisé sans limite. Les scènes sont bien souvent cadrées, tournées et montées comme un film qui n’aurait de contraintes que la taille réduite des décors dans lesquels la caméra doit se déplacer. Le making-off (à visionner ici) nous apprend qu’un spectacle de marionnettes, même animé, est toujours régi par les règles du théâtre, et fait montre de la conception rigoureuse que demande un tel projet dans ses ambitions plastiques. Tout n’est pas grandeur nature, mais l’emploi de certaines techniques comme celle du tilt-shift, grâce à un flou qui entoure le sujet, donne un effet de miniaturisation stimulante pour les yeux. Le respect des dimensions garantit également la cohérence visuelle de l’ensemble : si la marionnette du personnage fait un mètre, celle du monstre qui la confronte doit en faire deux. Demigod repose ainsi sur un savant mélange de techniques et de codes éclectiques, aussi bien issus du cinéma d’animation et du théâtre de marionnettes que des wu xia pian de Hong Kong, auxquels il emprunte bien plus que les modèles de récits héroïques. Un joyau du NIFFF 2022 à découvrir et dévorer sans modération.

Richard Guerry.

Demigod: The Legend Begins de Chris Huang Wen-chang. Taïwan. 2022. Projeté au NIFFF 2022.