Après Typhoon de Pan Lei, Carlotta Films continue d’exploiter en vidéo le patrimoine méconnu du cinéma taïwanais avec Exécution en automne, le film-somme de Lee Hsing réalisé en 1972, un cinéaste important de l’île de Formose qu’il convient de redécouvrir de toute urgence.
Dans une riche famille, une grand-mère a passé sa vie à gâter le seul héritier restant, son petit-fils, qui doit devenir le futur chef. Malheureusement, son mauvais tempérament l’a conduit à tuer trois personnes. Condamné à la peine capitale, il attend l’automne, saison des exécutions, au rythme des visites de sa grand-mère et de ses tentatives d’évasion. La vieille dame, ayant tout tenté pour le faire libérer, n’a désormais plus qu’une solution pour sauver la lignée : marier son petit-fils avec sa fille adoptive, une parente éloignée recueillie et élevée en même temps que lui, et les faire avoir un enfant d’ici l’exécution de la peine…
Lee Hsing fait partie de ces chaînons manquants du cinéma du monde. Hormis en Asie où ses films sont restaurés à travers le Taiwan Film and Audiovisual Institure (TFAI), le réalisateur taïwanais d’origine shanghaïenne n’est que trop rarement cité parmi les cinéastes importants des cinémas du monde chinois. Il a fait montre d’une carrière riche, débutée en 1959 par le diptyque Brother Liu and Brother Wang in Tour in Taiwan, première saga du cinéma taïwanais qui met en scène une version retravaillée pour le cinéma local de Laurel et Hardy. Il est capable d’enchaîner en 1964 avec une œuvre relevant du réalisme social, Our Neighbors, ou un drame romantique tel que The Young Ones avec l’acteur hongkongais Alan Tang en tête d’affiche. Exécution en automne, parmi ces références, fait figure d’œuvre suprême.
John Woo disait que dans les années 1960, tout le monde se référait au cinéma japonais car il s’agissait de l’industrie cinématographique la plus qualitative. Exécution en automne, par la majesté de ses décors, le jeu délicat de ses acteurs et sa dimension spirituelle rejoint en effet la trempe des grands films nippons des années 1960 et 1970, tels que ceux de Kurosawa Akira, Kobayashi Masaki ou Kinoshita Keisuke. Brother Liu and Brother Wang, réalisé 13 ans plus tôt, montrait une mise en scène particulièrement archaïque. Lee Hsing a trouvé ses marques dans les années 1960 et est bien à l’aise avec Exécution en automne. La colorimétrie, volontairement blafarde, incarne l’austérité qui attend le cheminement de son protagoniste, devant renoncer à ses désirs pour rendre le salut à sa famille et ses ancêtres, un thème à rattacher à la volonté de son auteur de peindre un environnement au confucianisme surplombant.
La comparaison avec le cinéma japonais s’arrête à la qualité de la réalisation. Ayant à l’esprit que Exécution en automne est un film à l’intention passéiste, le film brille par les émotions que ressentent les personnages, par leur individualité ou la façon dont ils sont unis les uns aux autres. L'(anti?)héros-détenu et sa sœur adoptive devenue son épouse ont une relation complexe, d’abord caractérisée par une distance, un manque de sympathie, puis par un amour sincère, renforcé par les circonstances. Lui est touché peu à peu par son dévouement, elle montre sa dévotion à chaque instant. Le lien entre le détenu et sa grand-mère, tout comme cette dernière avec la jeune fille, se révèlent travaillés pour peindre le discours confucéen du film. Il est à propos pour cela, mais il l’est aussi pour explorer la spiritualité d’hommes et de femmes dans une situation inextricable. En face, il y a la mort, la misère, le déclassement, la marginalisation, et le contexte historique du film permet de justifier la force du scénario et le courage de ces personnages, qui ne pourraient pas ou moins l’être si le film prenait place dans un contexte plus récent ou contemporain, à l’aune de ce qui anime les sociétés contemporaines.
Exécution en automne est de ces films magnifiques qui suivent les canons politiques de leur époque. Les personnages connaissent un développement minutieux et réussi, les rendant tout à fait attachants, dans un décor de Chine faussement éternelle. La colorimétrie terne, les décors de prisons qui englobent la quasi-intégralité de l’intrigue, l’absence de vues du ciel, laissent à penser que cette Chine-là est à son crépuscule. Intention volontaire ou non, aborder Exécution en automne sous cet angle est passionnant, tout comme voir ce que représente le film, Lee Hsing et le réalisme sain, registre incontournable dans le cinéma taïwanais classique. Pour conclure, notons la présence dans l’équipe du film de deux personnalités intéressantes à un stade précoce de leur carrière : Yang Chia-yun, réalisatrice du formidable B-movie taïwanais Lady Avenger en 1981, ici assistante-réalisatrice ; et Chen Kun-hou, premier directeur de la photographie attitré de Hou Hsiao-hsien au début des années 1980, au même poste.
Bonus
Analyse du film par Wafa Ghermani (28 min). Wafa Ghermani, spécialiste du cinéma taïwanais, développe en quoi Exécution en automne est une films d' »anti-rébellion ». Elle commence par rappeler que Lee Hsing est le père du cinéma dit du réalisme sain, soit les films tournés en mandarin à partir des années 1960 et œuvrant pour le discours officiel du gouvernement du Kuomintang, montrant une société taïwanaise tournée vers un avenir radieux mais inféodé aux principes confucéens et au parti. Wafa Ghermani rappelle que le film de 1973 tenait à cœur à Lee Hsing, car toute l’idéologie confucianiste à laquelle il croit se retrouve dans ce film de manière transcendée. Elle note également qu’un large pan du cinéma mondial montrait les aspirations nouvelles de la jeunesse, en pleine libération sexuelle et que ce faisant, Exécution en automne arrive dans les années 1970 telle une anomalie. Enfin, elle dresse le portrait des acteurs principaux, notamment Ou Wei qui campe le héros, Taïwanais « de souche » et ayant d’abord beaucoup tourné dans les films en taïwanais avant que ce registre ne soit peu à peu effacé par le gouvernement nationaliste.
Maxime Bauer.
Exécution en automne de Lee Hsing. Taïwan. 1972. Disponible en Blu-ray et DVD chez Carlotta Films le 07/06/2022.