HENRI – A Song I Remember de Sugita Kyoshi

Posté le 24 décembre 2021 par

La Cinémathèque française propose sur sa plateforme Henri une sélection Japan Fringe, portant sur le cinéma japonais post-Fukushima. Parmi ces œuvres, nous trouvons le premier film du réalisateur Sugita KyoshiA Song I Remember, sorti initialement en 2011.

Comme nous l’apprenons avec le paratexte du film sur Henri, Sugita a débuté sa carrière en tant qu’assistant réalisateur pour des pontes du cinéma japonais des années 90 tels que Kurosawa Kiyoshi, Aoyama Shinji, Suwa Nobuhiro et Shinozaki Makoto. Si son cinéma est bien plus naturaliste que les réalisateurs auprès desquels il s’est formé, nous retrouvons chez Sugita une attention particulière portée sur les ambiances. A Song I Remember raconte un moment dans la vie d’un jeune adulte japonais, Takeshi, jardinier de métier et photographe amateur. Particulièrement intéressé par les prises de vues de gares et de stations de métro, Takeshi immortalise, durant l’une de ses escapades, une vieille dame quelques instants avant qu’elle se jette sur les rails. Il fait ensuite la rencontre de la fille de cette femme, qui travaille dans un magasin d’appareils photos, et un lien se crée entre les deux personnages.

Le synopsis de A Song I Remember est à la fois honnête et trompeur. Certes, nous retrouvons tous les éléments ci-dessus dans le film mais Sugita porte tout autant d’attention aux moments anodins de la vie de Takeshi qu’à la narration de l’amour naissant entre les deux protagonistes. La rencontre ne survient d’ailleurs qu’après un bon tiers de film. Le début de A Song I remember dépeint les longues balades urbaines du jeune photographe et nous plonge dans le quotidien d’un homme passif et spectateur de la vie qui l’entoure, dont le hobby représente, au final, le seul lien tangible qu’il entretient avec le reste du monde. Sugita traite la thématique du suicide au travers les vivants plutôt que les morts et il s’attache à montrer la solitude et la trivialité de l’existence via ses protagonistes qui semblent déjà être des fantômes. La scène de la mort de la femme suicidaire se joue en hors-champ tandis que Sugita préfère montrer un escalator en plan fixe sur lequel avance lentement Takeshi qui n’exprime aucune émotion perceptible face aux déclarations des hauts parleurs qui préviennent d’un « accident de voyageur ». Lors d’une scène d’escapade romantique entre les deux personnages principaux, la fille de la vieille dame laisse lire à Takeshi le journal intime de sa mère. Au lieu de révéler une expression de mal-être ou de tourments, le journal n’exprime que des comptes-rendus de repas et d’idées de recettes. Sugita crée ainsi un lien entre les éléments de quotidien extrêmement prosaïques observés jusqu’alors chez les vivants et le testament d’une femme mélancolique prête à en finir. En refusant de sensationnaliser ainsi le suicide et en choisissant de baigner son film entier dans la solitude, le silence et la banalité, Sugita exprime finement et sensiblement un problème social davantage qu’individuel.

Là où le bât blesse, dans A Song I Remember, est que l’aspect particulièrement contemplatif du film couplé à une volonté de ne donner aucune forme de résolution à ses intrigues ébauchées demandent de s’accrocher devant le film et peuvent définitivement perdre très vite un public réfractaire à cette approche. La suggestion a beau être bienvenue pour traiter d’un sujet si sensible, elle nécessite de faire preuve de patience devant des séquences aussi longues, lancinantes et fixes ainsi qu’une économie de dialogues certaine. Il est également parfois assez frustrant de constater au sein d’une scène que des discussions ou des actions auxquelles on aurait aimé assister se sont déroulées en hors-champ ou en ellipses. Les spectateurs particulièrement sensibles au naturalisme et à la poésie du quotidien sans filtre devraient néanmoins trouver leur compte devant A Song I Remember et sa transmission d’émotions parcimonieuse mais présente.

Elie Gardel.

A Song I Remember de Sugita Kyoshi. Japon. 2011. Disponible jusqu’au 08/02/2022 sur Henri.