Poursuivant son exploration de l’âge d’or du cinéma hongkongais, l’éditeur Spectrum Films propose sur le marché vidéo la version restaurée de Magic Crystal, une comédie cantonaise teintée de kung-fu, de science-fiction et d’aventures qui a tout pour ravir un jeune public, aussi bien que les passionnés d’un certain cinéma de la ville au port parfumé.
Un agent d’élite de Hong Kong est chargé de retrouver la trace de son frère, chercheur en Grèce, menacé dans ses recherches de par l’objet extrêmement précieux qu’il a trouvé. Il emmène en voyage son petit neveu, qui retrouve dans sa valise le fameux artefact : un jade extraterrestre doué de parole et doté de pouvoirs psys ! C’est alors que commencent les ennuis autour de cette petite famille, qui devra se frotter aux agents d’Interpol et se battre contre un espion soviétique spécialiste en arts martiaux.
Wong Jing est un réalisateur connu pour chercher des formules qui engrangent de l’argent au box-office, ce qui peut l’amener à réaliser des croûtes commerciales ou ne pas suivre ses productions – on pense à The Evil Cult, premier volet d’un diptyque dont la deuxième partie n’a jamais vu le jour. Pourtant, résumer la carrière et l’intention de cinéaste de Wong Jing à ce penchant pour l’argent est quelque peu réducteur, et occulte les films populaires à l’action et à l’humour bien sentis qu’il a pu sortir. Fils du cinéaste vétéran Wong Tin-lam, Wong Jing a eu tendance à suivre les modes, parfois en créer. C’est pour cela que dans ses kung-fu comedies, on sent l’influence du style cartoonesque de Tsui Hark, de Yuen Woo-ping ou de Sammo Hung à la même époque. Wong Jing s’est inséré dans le courant et n’a pas toujours à rougir de ses travaux hauts en couleur. Bien que largement imparfait, Magic Crystal fait partie de ces films feel good à la sauce hongkongaise, d’autant que Wong Jing joue ici le rôle du side-kick d’Andy Lau, et devient lui-même le vecteur de l’humour.
Effectivement, Magic Crystal semble complètement sous influence spielbergienne, comme on peut le constater avec ces histoires d’extraterrestres, d’enfants émerveillés et de temple à la Indiana Jones. Mais comme toujours à Hong Kong, ces allusions ne représentent pas le cœur du film, ce style comique et narratif si singulier et adapté pour le marché local. Les clowneries de Wong Jing, le jeu cabotin de Richard Norton et la temporisation de l’action au profit de séquences de gags dans la classe moyenne hongkongaise, ainsi que les inévitables scènes martiales, sont typiques de l’industrie cinématographique de l’ex-colonie britannique dans son versant populaire et grand public. Magic Crystal est drôle, et se révèle peut-être même parfois plus percutant que bien d’autres comédies cantonaises. L’humour s’alterne correctement avec les avancées de l’intrigue et les séquences de combat. Nul besoin de CGI perfectionnés, le rayonnement vert du cristal magique sous forme de dessins en surimpression est d’un cachet inimitable.
Imparfait, le film l’est toutefois dans son pitch brouillon. Avec un tel postulat de départ, une famille nombreuse aux membres mal définis, la multiplication des pistes et des enjeux, il n’est pas toujours aisé d’y voir parfaitement clair dans un scénario qui ne casse pas pour autant trois pattes à un canard. Malgré sa poussée initiale bancale, le film se réorganise petit à petit, définit son méchant – un Richard Norton tantôt ridicule, tantôt charismatique – fait intervenir des seconds rôles intéressants – Cynthia Rothrock qui en impose en agent d’Interpol ; Nat Chan impayable en dragueur lourd et naïf – et aboutit à un film d’aventures des plus charmants, représentatif de ce que Wong Jing sait faire dans l’industrie du divertissement. Avec la présence de Richard Norton et Cynthia Rothrock sur le devant de la scène, Magic Crystal est également une vitrine pour reconsidérer les gweilo, ces acteurs étrangers – blancs anglo-saxons en l’occurrence – qui ont apporté de nouvelles couleurs au cinéma d’arts martiaux hongkongais des années 1980-1990. A contrario, on oublie jusqu’à la jaquette que le rôle principal du film est confié à la superstar Andy Lau, à l’étroit parmi tous ces éléments de scénario foutraques et les personnages truculents qui l’entourent. La faible impression qu’a laissé le personnage d’Andy Lau est symptomatique du déséquilibre du scénario, car lui-même, tant comme acteur qu’artiste martial, « fait le taf » (alors même qu’il n’a jamais été un pratiquant des arts martiaux). Malgré cela, Magic Crystal est un film tout en charme, tout en couleurs, typiquement une bonne idée de visionnage si l’on est en manque, ou nostalgique, du ton du cinéma hongkongais des années 1980.
Bonus
Présentation du film par Arnaud Lanuque (12 min). Arnaud Lanuque balaie habilement toutes les composantes du cinéma de Wong Jing et les qualités spéciales de Magic Crystal dans sa filmographie. Il rappelle ainsi que Wong Jing est le fils de l’illustre Wong Tin-lam, réalisateur de la période classique pour la Cathay, et que Wong fils a débuté dans le métier sur un tournage de son père au début des années 1970. Il revient ensuite sur son parcours à la télévision, notamment comme rédacteur pour des émissions de variété et l’influence grandissante qu’il va représenter. Il enchaîne avec la recette des films de Wong Jing, ce mélange d’action, d’humour, et d’un côté un tantinet sexy. Il explique enfin les spécificités de Magic Crystal, de son absence de superstar (à l’époque, Andy Lau n’était pas la légende qu’il est aujourd’hui) et le rôle déterminant du chorégraphe Tony Leung Siu-hung, l’une de ces figures du cinéma d’action hongkongais trop méconnue selon Arnaud Lanuque.
Interview de Richard Norton (49 min). Dans cette interview fleuve réalisée par Arnaud Lanuque, Richard Norton apporte son témoignage sur l’âge d’or du cinéma d’action hongkongais auquel il a contribué. Il évoque son apprentissage des arts martiaux depuis son plus jeune âge, la méthode de tournage dans l’ex-colonie britannique, l’aura bienveillante de Wong Jing, le respect qu’il a éprouvé pour Andy Lau et agrémente de tout cela de quelques anecdotes du tournage de Magic Crystal. Surtout, il n’oublie pas de dire comment il a été recruté pour jouer Karov, le méchant du film et ce que Wong Jing, les assistants réalisateurs, le chorégraphe Tony Leung et la production attendaient de lui, surtout en termes d’arts martiaux. Aussi, il rappelle les liens qui l’unissent, lui, les autres gweilo et la bande de Jackie Chan et Sammo Hung.
Interview de Cynthia Rothrock (19 minutes). De la même façon que pour l’interview de Richard Norton, Arnaud Lanuque fait remonter les souvenirs de tournage de l’actrice américaine, après un court aparté sur son parcours martial. Elle confirme les impressions laissées par le tournage telles que Richard Norton les a décrites, à savoir que la production menée par Wong Jing était constituée d’acteurs et techniciens talentueux, que le souvenir est assez bon pour être vivace dans son esprit, même si, comme d’habitude à Hong Kong, exécuter les séquences martiales des heures à la suite était éreintant. Magic Crystal apparaît comme une production dans le vent de cette époque, mineure mais agréable : les témoignages de Norton et Rothrock corroborent la sensation de bonne humeur qui se dégage du film.
Maxime Bauer.
Magic Crystal de Wong Jing. Hong Kong. 1986. Disponible en combo Blu-ray/DVD chez Spectrum Films le 12/11/2021/.