En octobre 2021, Spectrum Films a prolongé son exploration historique des wu xia pian en éditant le combo Bastard Swordsman (1983) et Return of the Bastard Swordsman (1984) de Tony Liu Chun-ku. Disponible pour la première fois au monde en Blu-ray, ces deux films de cape et d’épée chinois recyclent les canons du genre pour les électriser et, la même année que Zu, les guerriers de la montagne magique, propulser le genre vers les horizons de la fantasy. Avec plus ou moins de bonheur…
Signés Tony Liu (acteur auparavant aux côtés de Bruce Lee dans Big Boss, La Fureur de vaincre, La Fureur du dragon et auteur de 39 films), ces deux œuvres sortent de la cuisse de la triomphale Shaw Brothers, qui a connu ses heures de gloire grâce aux productions pléthoriques conduites par Run Run Shaw et son épouse Mona Fong, à travers 1 200 longs-métrages en cantonais et mandarin de 1958 à 1985. La singularité historique de ces deux films-là tient à ce qu’ils apparaissent au moment où le studio est en déclin, voyant son mogul Run Run Shaw se désintéresser du cinéma en devenant le président de la Television Broadcasts Ltd. en 1980. En conséquence, les œuvres souffrent d’un certain gâtisme, livrant tout dans une sorte de dernier souffle du genre. Pris entre les heures de gloire du wu xia des 70s et l’émergence en cours de la nouvelle vague hongkongaise, acculés par la concurrence des productions TV, les deux Bastard Swordsman exercent une fascination désespérée. C’est ce qui forge leur caractère et ce qui détermine leur limite.
BASTARD SWORDSMAN (1983)
Le chef de l’Invincible Clan se plaît, décennie après décennie, à humilier le groupe rival, le Wu-Tang Clan. La prochaine fois, le clan perdant sera obligé de plier l’échine pour de bon et se dissoudre. Les membres du Wu-Tang sont désespérés, leur dernier espoir reste la légendaire technique du ver à soie que seuls les héritiers des maîtres fondateurs peuvent maîtriser. En secret, leur serviteur bâtard, dont ils se moquent allègrement, suit un entraînement secret depuis des années avec un guide mystérieux.
Comme systématiquement lors de la découverte en Blu-Ray des raretés chinés par Spectrum, ce qui saisit dès le début, c’est la qualité visuelle. La clarté du bleu du ciel, visible dès les premières séquences, permet d’admirer la raffinement de la restauration. Ce qui laisse, un brin, regretter que rien ne soit énoncé à ce sujet. On aimerait en savoir davantage : quel laboratoire s’en est chargé ? D’où vient le matériel image et son original ? En ces temps où le patrimoine hongkongais est menacé par les nouvelles lois impérialistes de la Chine continentale, où sont préservées les copies zéros de ces œuvres rarissimes en Europe ? Passé ces menues interrogations, le film propulse son spectateur, sans détour, dans l’action. Le récit reste simple : sur le principe des shônen (et notamment Dragon Ball apparu les mêmes années), son éponyme sabreur bâtard est ce serviteur molesté par les apprentis combattants du clan et qui va se révéler le sauveur de la tribu, à force d’entraînements et de dépassement de soi. Tout cela n’est qu’un prétexte non seulement à chorégraphier des combats épiques, à élaborer un imaginaire fantastique mais surtout à dynamiter le rythme pour tenir en alerte, sans répit, le spectateur.
La nécessité d’une production pareille, pour concurrencer la télévision, impose au film ce rythme, pour que le spectateur soit plus galvanisé que devant n’importe quel petit écran. Choix de producteur plus que d’auteur, il en résulte une œuvre menée tambour battant. À tel point que les scènes dialoguées sont aussi montées au cordeau, jouant leur plus simple fonction d’information. Tout une heure et demi que fasse le film, ce rythme offre aux scènes de combat de très belles impulsions rythmiques (savamment analysées dans un des boni du 2ème Blu-Ray), cadencé par un art du zoom et un ballet d’ellipses, mais elle essouffle passablement. Le film cède à l’écueil courant dans les productions qui, à trop craindre d’ennuyer leur spectateur, finissent par s’embourber sous leur propre énergie. La lutte des clans et les grimaces des méchants se donnent à voir, au bout de 30min, comme des codes d’un genre en pilotage automatique où ne s’en extrait que les chorégraphies de combat, admirables, et l’imaginaire fantastique, séduisant.
La mythologie fabuleuse dans laquelle baigne ce Bastard Swordsman compose les lieux du récit en autant de niveaux vers l’issue glorieuse : la Salle de la Justice, l’Étude du Taoïsme… Tout cela servant d’écrin narratif pour que s’exprime la virtuosité des duels, notamment celui entre le chef du Wu-Tang et le maître taoïste (luttant à base de pages de livre volantes) et celui, final, où s’affrontent la Technique Fatale de l’Invincible Clan et la Technique du Ver de Soie du Wu-Tang Clan (où un grand bambou tenu de part et d’autres par les deux combattants se met à fumer de tous ses pores).
La beauté visuelle des chorégraphies ne doit pas faire oublier la singularité de la musique. C’est peut-être du côté de la bande sonore que le wu xia de la Shaw dernière manière trouve à se réinventer. À base de musique électro et même de leitmotiv aux consonances retrogaming (notamment lorsqu’apparaît le personnage féminin de Lun Wan Er), l’accompagnement sonore charge la réalisation d’une sorte de modernité, distincte des films originels des 70s.
RETURN OF THE BASTARD SWORDSMAN (1984)
Un mystérieux groupe venu du Japon tente de s’en prendre au Wu-Tang. Ils trouveront sur leur route le maître de la technique du ver à soie.
Suite direct du premier épisode, au point de s’ouvrir par des extraits de celui-ci pendant que défile le générique tout en hanzi, cet opus laisse entrer dans la lutte des clans un troisième personnage, nippon cette fois-ci. Le récit semble réciter la trame du premier volet : les deux clans aux techniques adverses s’affrontent après s’être donné rendez-vous deux ans plus tôt ; à la différence prêt qu’ici, un clan extérieur vient perturber la mécanique. La Technique Fatale et à la Technique du Ver de Soie s’opposent cette fois-ci à la Technique Fantôme du clan Ega (exprimée par une sorte de flatulence pectorale, façon « haleine fétide du crapaud qui gonfle »). Si le premier épisode accélérait les effets du genre, pour contrer sa lassitude, celui-ci va encore un cran plus loin : plus gore (faisant jaillir un cœur depuis la bouche d’une proie), plus comique (notamment grâce aux side kicks au jeu burlesque), plus fantastique, l’œuvre semble vouloir doubler son prédécesseur par l’énergie, faisant fi que « less is more » . Les décors, les costumes et les accessoires ne sont pas en reste. D’allure un peu cheap, ils offrent au film une sorte de désuétude surannée qu’on peut, au choix, trouver charmant ou kitsch. Là où l’épisode ouvre un territoire plus ample que le #1, c’est sur les rôles féminins. Déjà marqués dans le premier épisode, les femmes parlent ici d’égal à égal avec leur homologue masculin, rappelant combien le cinéma hongkongais, de ce point de vue et depuis longtemps, était à la pointe du progrès social.
Le fond mythologique depuis lequel émergeait le premier épisode se redouble ici à travers ses séquences d’aventure. L’une d’elles, par exemple, où Fei Yang boit un remède dans une grotte et veut s’éponger en buvant de l’eau, au risque d’en mourir, peut laisser penser au Dumbledore du Prince de Sang-mêlé. L’une et l’autre des deux œuvres n’ayant probablement aucun rapport d’influence mais les deux partageant certainement des structures légendaires, des mythèmes en commun. Preuve, s’il en faut, que ce diptyque offre à saisir quelque chose de l’imaginaire fondamental, à la fois chinois et international.
Reste, malheureusement, que l’abattement ressenti dans le premier épisode à force d’une succession systématique dialogue/combat se retrouve ici, et d’autant plus vite qu’on a déjà saisi la formule. Demeure encore le plaisir des combats et des effets. Même si quand on fait reposer l’intérêt de son film sur les effets, on le menace de vieillir très vite. En l’occurrence, les effets, comme dans l’opéra de Pékin, ne veulent ici rien cacher de leur artifice et que c’est, finalement, cette artificialité mécanique même qui fait le charme de l’œuvre.
Boni de Spectrum Films
Chacun des deux Blu-Ray a le plaisir d’offrir de jolis boni, généreux sans être excessivement copieux.
Le Blu-Ray de Bastard Swordsman offre une présentation du film par le fidèle Arnaud Lanuque, de son contexte de production et de son cast & crew. On y apprend, entre autre, que le titre original signifie « L’Ascension du Ver à Soie » (wink wink Star Wars 9), que le récit adapte un roman de Wong Ying déjà adapté à la télé en 79, avec Norman Chu aussi en rôle principal, et que le fameux Wu-Tang, si important dans le wu xia pian puis dans la pop culture occidentale, est une montagne où se trouvait un centre taoïste fondé par la dynastie Tang et berceau du tai chi chuan.
Dans cette galette et la suivante, Arnaud Lanuque présente également en deux volets une histoire de l’essor et surtout du déclin du légendaire studio de la Shaw Brothers. Cela permet, avec grand intérêt, de cerner l’émergence du cinéma hongkongais et l’influence que ses pionniers auront sur les générations futures. Au constat du déclin, il présente notamment les différentes stratégies du studio pour y parer et regagner l’intérêt du public. Les présentations érudites de Lanuque cèdent parfois à la tendance au name dropping d’auteurs ou de films chinois/HK qui peuvent paraître excluants pour les non initiés.
Et puis, le plus beau bonus de l’ensemble : un portrait de Mona Fong par Zoé Baxter. Chanteuse, actrice, productrice de plus d’une centaine de films, l’artiste se présente sous toutes ses facettes dans La vie et l’époque de Lady Shaw, Mona Fong. Ce bonus est entrecoupé d’extraits de films qu’elle a produit avec en bande son ses chansons les plus iconiques. Mona Fong s’y révèle comme une artiste phare de l’Histoire du cinéma HK.
Flavien Poncet
Coffret Bastard Swordsman & Return of the Bastard Swordsman de Lu Chun-ku. Hong Kong. 1983-1984. Disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films le 01/10/2021