Etrange Festival 2021 – Saison de trahison de Yamatoya Atsushi

Posté le 28 septembre 2021 par

A l’occasion de la mise à l’honneur de Yamatoya Atsushi par L’Etrange Festival 2021, nous avons pu découvrir en rétrospective Saison de trahison, réalisé en 1966, soit le tout premier long-métrage du réalisateur d’Une Poupée gonflable dans le désert.

Produit par nul autre que le maître du pinku eiga Wakamatsu Koji, Saison de trahison est à l’image du genre dans les années 60, mêlant un propos politique à des expérimentations visuelles et à la sensualité caractéristique du pinku. Nous suivons un ancien vétéran japonais mobilisé au Vietnam aux côtés de l’armée américaine, après son retour chez lui. Nous apprenons par la même occasion bien vite que son meilleur ami, photographe de guerre, est mort au combat et que le protagoniste s’accapare désormais ses œuvres pour les présenter en galerie, en prétendant en être l’auteur. L’intrigue se corse alors puisque le meilleur ami en question réapparaît sans crier gare.

Yamatoya semble avoir un faible pour les histoires de faux-semblant et de trahisons, comme en témoigne son autre film présenté au festival, Le Piège de la luxure, où nous retrouvons des intrigues de morts-pas-vraiment-morts et de personnages qui ne sont pas ce qu’ils semblent être. Dans Saison de trahison, toutefois, nous comprenons vite que les intrigues autour de l’identité des personnages sont presque secondaires par rapport à leurs intentions. En effet, le protagoniste devient vite une métonymie de l’armée japonaise au Vietnam. Cet homme, qui prend plaisir à observer la torture d’innocents, qui s’approprie une carrière et qui vit dans une misanthropie baignant dans le racisme, dépasse le cadre de l’anti-héros et devient un épouvantail politique du gouvernement japonais. Yamatoya propose une critique très franche qu’il est impossible d’ignorer tant il multiplie les parallèles entre la guerre et l’attitude de son personnage, une fois de retour dans sa routine. Lorsqu’il se fait menacer par ses supérieurs pour qu’il leur cède « sa » dernière pellicule prise au front, les hommes décident de torturer sa promise pour le faire avouer. Or, bien mal leur en prend car le protagoniste apprécie de bout en bout ce spectacle, alors même qu’il a devant lui la femme qu’il aime. Cette scène profondément dérangeante et anxiogène fait écho à ce que nous apprenons sur les habitudes du héros en temps de guerre et confronte implicitement le public aux crimes de son armée nationale.

L’intrigue du film ne vaut pourtant pas que pour son parallèle politique. L’aspect thriller de Saison de trahison est très bien manié et les rebondissements attendus, comme celui de l’identité du tueur du meilleur ami du protagoniste, se succèdent vite à des révélations plus surprenantes qui captent l’intérêt jusqu’à la fin. De même, le film captive par son image. Le travail visuel est extrêmement riche et soigné et Yamatoya tire profit au maximum de la lumière pour sublimer son noir et blanc. Le travail sur les jeux de regard, que l’on retrouve dans le reste de sa filmographie, est envoûtant et étoffe les intrigues sur ce que l’on croit voir et ce que l’on voit réellement. Tous les aspects du dispositif cinématographique se répondent et aboutissent à un résultat extrêmement maîtrisé, qui impressionne d’autant plus qu’il s’agit du premier coup d’essai de Yamatoya.

Il est donc véritablement agréable de découvrir la filmographie de Yamatoya, qui se révèle être un très bon réalisateur de pinku eiga, tant dans les aspects plus classiques du genre (tout de même assez codifié) que dans la façon dont il s’approprie son matériel. Une excellente surprise de la part de L’Etrange Festival, qui pousse à voir davantage sa (courte) œuvre.

Elie Gardel.

Saison de trahison de Yamatoya Atsushi. Japon. 1966. Projeté à L’Etrange Festival 2021.