Depuis la signature des accords de la rétrocession entre le président chinois Deng Xiaoping et la première ministre britannique Margaret Thatcher en 1984, Hong Kong attend son avenir au tournant, mais ce dernier ne lui appartient pas. Son sort se décidait à Londres, maintenant à Pékin. Ainsi écrivait le critique Serge Danay en 1980, bien loin d’imaginer les mesures politiques et culturelles qui allaient bouleverser le paysage de l’ex-colonie dès son retour à la Chine en tant que région administrative spéciale en 1997, et qui se confirment peu à peu depuis l’adoption d’un texte de loi sur la sécurité nationale en 2020. Qu’impliquent de tels enjeux pour le futur de l’industrie du cinéma de Hong Kong ? Et comment la censure, selon la législation, menace-t-elle jusqu’aux films sortis il y a plusieurs décennies ?
Le secrétaire au commerce et au développement économique de Hong Kong Edward Yau Tang-wah a annoncé, ce 24 août 2021, de nouveaux amendements visant à consolider le fondement des autorités juridiques en matière de censure. Tout film qui attenterait à la sécurité nationale, que le certificat d’approbation ait été délivré hier ou il y a 40 ans, peut théoriquement être interdit de projection publique. Une peine de prison maximale de trois ans et une amende de 128 000$ attendent les dissidents, sans mécanisme d’appel a déclaré le secrétaire, nous informent Ng Kang-chung et Cannix Yau dans le South China Morning Post.
En vertu des nouvelles directives, initiées il y a quelques mois déjà, seraient considérés comme « dangereux » les films qui soutiennent ou encouragent des idéologies pro-démocratiques, des actes de subversion, de sécession, de terrorisme ou de collusion avec des forces étrangères, dont la Chine fait encore partie. Ces changements s’appliquent aussi bien aux films « made in Hong Kong » (pour ne pas citer l’œuvre prophétique de Fruit Chan) qu’aux productions étrangères, comme Taiwan Equals Love (2020) de Yan Zhexuan sur la question LGBTQ+. La volonté de l’exécutif semble somme toute de répondre aux circonstances dans lesquelles un film a été créé ou approuvé auparavant, afin de finalement reconsidérer rétroactivement de tels cas portant potentiellement atteinte à la sécurité nationale. A partir de ce constat, il n’est pas difficile d’imaginer que des films comme le diptyque Election (2005/2006) de Johnnie To ou l’anthologie collaborative Ten Years (2015) puissent être radiés et interdits de diffusion.
La mesure est également dissuasive, et vise à enterrer le libéralisme de Hong Kong du temps de son occupation britannique. Des clauses de censure existaient déjà depuis les années 1950 mais ne se sont réellement appliquées que tardivement, à l’instauration du système de catégorisation en 1988 (CAT IIA, CAT IIB, CAT III…) par exemple. Petit à petit, des fenêtres se ferment pour les cinéastes hongkongais à venir. De nombreux métrages et documentaires jugés problématiques ont déjà été bannis, comme Where the Wind Blows (2021) de Philip Yung, cette fois-ci annulé d’un festival pour « raisons techniques ». Mais la théorie n’est pas la pratique. Plusieurs réalisateurs sont déjà censurés sur le continent sans que cela ne perturbe (pour l’instant) le circuit de distribution international, ni ne ternisse la renommée de certains noms. Les autorités chinoises semblent davantage cibler les projets en lien direct ou supposé avec les manifestations démocratiques, ainsi que ses activistes. Une propagande en réponse à celle des anciennes puissances coloniales, dont Hong Kong serait en quelque sorte le carrefour symbolique.
Il est encore trop tôt pour déterminer si la mise en application sera effective et bien efficace, mais une fois encore, l’ouvrage de référence « Hong Kong: Culture and the Politics of Disappearance » d’Ackbar Abbas ne démérite pas son intitulé.
Richard Guerry