Disponible en exclusivité sur Netflix depuis le 8 juillet, Resident Evil: Infinite Darkness est la première tentative de l’éditeur Capcom (Street Fighter, Mega Man…) de proposer sa poule aux œufs d’or au format série télé d’animation. Après d’innombrables jeux vidéo, films ou anime, c’est désormais, pour cette première saison, la forme d’une mini-série de 4 épisodes qui a été privilégiée. Une aventure inédite et réalisée par Hasumi Eiichiro (Assassination Classroom) que l’on peut découvrir sur la plateforme. Sortez les parapluies, Umbrella Corporation est de retour !
En 2006, l’agent fédéral américain Leon S. Kennedy fait partie du groupe invité à la Maison Blanche pour enquêter sur un accès inapproprié au réseau de la Maison Blanche. Lorsque les lumières s’éteignent soudainement, Leon et l’équipe du SWAT sont contraints d’abattre une horde de mystérieux zombies. Pendant ce temps, Claire Redfield, membre du personnel de TerraSave, découvre une image
Profitant dès les premières minutes du score de Kanno Yugo (célèbre notamment pour son travail sur les jeux Nioh et les anime Jojo’s Bizarre Adventure) mais dont la partition s’entendra finalement comme inutilement grandiloquente et d’un esthétisme anthracite et or du plus bel effet (n’étant pas sans rappeler La Chute du faucon noir ou les films de Paul Greengrass), l’entame de la série est percutante. L’on ose alors espérer que peut-être, enfin, l’univers de Resident Evil va gagner en maturité et connaître une adaptation digne de son succès planétaire.
Surfant sur une actualité brûlante (comme l’est l’incendiaire sexy Lady Dimtrescu du récent et plutôt réussi Resident Evil Village) et le 25e anniversaire du premier jeu, la diffusion de cette coproduction américano-japonaise créée par Kobayashi Hiroyuki (déjà producteur des trois films d’animation Resident Evil) est un événement en soi. Épaulé par le célèbre studio d’animation TMS Entertainment (Detective Conan, Lupin III, Saint Seiya The Lost Canvas) ici coproducteurs, Hasumi Eiichiro avait sur le papier tous les ingrédients pour engendrer une création originale et subtile. Redéfinir les codes surexploités des visions pour la plupart catastrophiques des films Resident Evil (6 films entre 2002 et 2016 et 3 films d’animation), tel était la pari attendu des amoureux de ce macrocosme horrifique imparfait mais aux possibilités infinies. Afin de revenir à l’essence du bijou de Mikami Shinji (la tension, la perte de repères, la frayeur ou l’impuissance), la voie à suivre était à l’évidence l’évolution des codes vidéoludiques. D’un premier opus aux caméras fixes parfaites car injustes pour cette première plongée en enfer à l’évolution salutaire vers l’action diurne inattendue du village espagnol de RE4, la série a toujours tenté de muer. Elle a parfois échoué comme avec RE5 ou RE6 mais nier sa prise de risque serait malhonnête. Récemment, le passage en vue à la première personne de RE7 fît frémir, notamment dans une terrifiante version en réalité virtuelle, les amoureux du Survival Horror, un nouveau Silent Hill se faisant cruellement attendre.
Il paraît impossible de résumer ou même condenser les différents enjeux et partis pris du lore Resident Evil. Romans, mangas, anime… Que vous ayez déjà posé les mains sur une manette pour l’un des jeux ou les yeux sur l’un des films, il est probable qu’il vous soit tout aussi inconcevable de résumer en quelques lignes toutes les imbrications, trahisons et autres fausses pistes que réserve le plus célèbre folklore de jeux horrifiques.
Disons très, très grossièrement que Raccoon City, ville fantasmée du Midwest américain, est le théâtre d’étranges disparitions, certains témoignages évoquant même des agressions cannibales… Une ville principalement active grâce aux emplois dans une multinationale pharmaceutique opaque et intrigante, Umbrella Corporation. Non loin de là, à propos d’un manoir isolé, une rumeur se répand sur d’étranges recherches sur des humains/hôtes modifiés par des organismes parasites non encore identifiés. C’est là qu’un accident survient… Voilà donc le point de départ du monde de Resident Evil et de tout ce qu’il engendrera : énigmes tordues, whodunit, errances labyrinthiques ou shotgun homériques contre toutes sortes de monstres WTF : du tyran au loup garou, du serpent géant au doberman zombie en passant par des poissons mutants et surtout beaucoup, beaucoup de morts-vivants et infectés. Bref, c’est cool, comment le narrer autrement…. Impossible de dire le contraire. Resident Evil, aussi bis et parfois même gênant en terme de clichés (« en fait, c’était moi le tueur ! ») qu’il soit, c’est cool au sens premier du terme. Divertissant, foisonnant de créatures en tout genre et de personnages tous plus ringards les uns que les autres, l’on ne peut se retenir de s’intéresser à chaque nouvel épisode, trépignant de la nouvelle surprise que nous réserve Capcom et sa diégèse à nul autre pareil. C’est donc bien ici in fine, par sa paresse, que le bât blesse.
Resident Evil 2 permettait en 1998 de découvrir ceux qui deviendraient parmi les personnages les plus célèbres et appréciés de la saga. Leon S. Kennedy, un policier débutant (incarné par Nick Apostolides) et Claire Redfield (Stephanie Panisello), personnage atypique car pacifiste convaincue tout en étant vêtue des oripeaux encombrants de l’héroïne. Les personnages retrouvent d’ailleurs ici les doubleurs de RE2, une grande satisfaction pour les fans de la première heure. Six ans plus tard, Resident Evil 4 remettait le couvert et envoyait Leon en Espagne sauver la fille du président des États-Unis, enlevée et retenue en otage par une mystérieuse secte. Une sacrée plume de scénariste, il faut le concéder.
La série disponible sur Netflix commence donc deux ans plus tard, en 2006, situant son intrigue entre les opus 4 et 5 des jeux canons. Notre héros est cette fois mandaté par une obscure organisation gouvernementale (qui sauve souvent le monde) pour enquêter sur une cyberattaque dirigée vers… la Maison Blanche ! S’en suivra sans trop en dévoiler (eu égard aux faméliques 4 épisodes de 25 minutes) un duo good cop – good cop entre Claire (membre de l’ONG TerraSave, au moins là c’est assumé) et Leon qui, après avoir affronté une horde de zombies, devront lever le voile sur la sombre cellule terroriste à l’origine de l’agression. Une fois de plus, une adaptation de la célèbre franchise (ou d’un jeu vidéo en général en attendant le film Uncharted) se révèle décevante. Sidekicks, conspiration, laboratoire souterrain d’armes biologiques, sous-marin nucléaire : n’en jetez plus, tous les poncifs du genre sont bien présents, même la secrétaire/adjudant Shen May, ès-bombe atomique en tailleur sexy ou pantalon de cuir moulant (et la boucle est bouclée). Parfois même risible (le déplacement à la torche des gardes du corps ou les zombies qui foncent…à genoux) ou agaçant (le doublage VF cabotin est raté : « reposez en paix…bande de connards »), la série est tout sauf innovante et c’est là le cœur de la déception d’une série teasé depuis un an. Manquant clairement de travail sur l’écriture, Claire Redfield en devient par exemple le symbole même de ce qui est bancal depuis 20 ans dans la franchise. Avec son ONG, l’héroïne construit donc des écoles et des hôpitaux dans un pays en …stan (ici le fictif Penamstan). L’élément déclencheur du récit réside ensuite dans son interprétation d’un carnet à dessin qu’elle prend sur les genoux d’un enfant, victime de la guerre civile, en fauteuil roulant, muet. Difficile de trouver désormais quoi que ce soit à sauver dans la série car malgré ses 110 millions d’exemplaires vendus depuis 96, quand les employés japonais de Capcom de 2021 veulent ressembler au Hollywood des années 80, cela en devient grotesque.
Tout n’est évidemment pas à jeter aux ordures mais quelques réussites ne suffisent pas à faire oublier les monstrueuses lacunes. Côté scénario, les quelques flashbacks sont cette fois assez compréhensibles. Qu’il s’agisse de l’hélicoptère des forces spéciales intervenant dans la guerre civile du Penamstan tombant du ciel, des Mad Dogs de l’armée refusant les ordres du centre de commandement pour sauver les survivants de l’accident : les enjeux sont cette fois limpides et efficacement exposés. On comprend alors aisément l’importance du nouveau personnage Jason, le « héros du crash », les récits imbriqués entre 2000 et 2006 et certains raccourcis face à des forces spéciales supposées mortes se déplaçant de manière étrange… Ensuite, une fois n’est pas coutume, d’où l’importance de le souligner, le mixage audio est impeccable et les dialogues profonds et audibles (même lorsqu’ils chuchotent dans un sous-marin). Certaines séquences sont elles aussi très réussies et l’animation en CGI est dans l’ensemble soignée. L’on peut citer entre autres : les flash de lumières lors de certaines fusillades ou des expressions faciales parfois très convaincantes. La texture de la peau, ses aspérités, la barbe irrégulière ou certaines matières comme la veste des héros filmée en gros plan sont inattaquables. Lors des plans rapprochés, la série envoie souvent un uppercut inattendu mais sa réalisation est inégale et en devient frustrante. Comme lorsqu’elle surprend en écarquillant les yeux devant Léon suspendu au dessus de rats mutants éclairés en stroboscope puis fronçant les sourcils face au visage de Claire manquant de polygones. Heureusement, les regards de Shen May crèvent l’écran et ont à l’évidence bénéficié de beaucoup de bienveillance de la part des animateurs : elle est sublime. Citons enfin des gerbes de sang « salissant » une demeure immaculée (le symbole est évident bien que peu subtil). Les films d’animation Degeneration en 2008 et Vendetta en 2017 étaient de relatives déceptions. Damnation en 2012 fut lui, scénaristiquement et artistiquement, le plus abouti et le plus respectable : sa qualité graphique se rapprochant finalement de cette nouvelle série en termes de soin. Dix ans plus tard malheureusement, le fossé graphique n’a pas été creusé. Attention enfin, soignée ne signifie aucunement qu’Infinite Darkness rivalise, pour citer un exemple récent, avec le jeu Resident Evil Village sorti il y a deux mois et dont l’implication et l’exigence transpirent tout au long du jeu, notamment sur les consoles de « nouvelles » générations. Un comble quand on imagine un jour un film d’animation de la franchise et mis en scène par les génies derrière les cinématiques du jeu…
Sans aucune prise de risque (la licence n’a toujours pas choisi entre hommages aux héros de série B d’action ou d’horreur pour ses films et séries ou un vrai second degré assumé) et toujours aussi « nanardesque » dans ces enjeux, la série ne semble avoir aucune vision mêlant sans vergogne Alien, La Chute de la Maison Blanche, World War Z ou John Wick. Sans proposition inattendue ni même une direction artistique audacieuse : le spectateur lambda découvrira alors sans déplaisir mais sans passion aucune une œuvre toute aussi fade qu’embarrassante, qui plus est famélique par ces 4 épisodes de 25 minutes. Une déception comparable peut-être (probablement ?) à la future série live qui vient d’être annoncée, projet le plus risqué en terme de ridicule depuis Monster Hunter avec Tony Jaa et Milla Jovovich. Infinite Darkness n’est donc finalement, après tous ces fantasmes, qu’une tempête dans un verre d’eau. Une lueur d’espoir pointe toutefois à l’horizon, un reboot est prévu au cinéma pour fin 2021 avec derrière la caméra Johannes Roberts, réalisateur des sympathiques 47 Meters Down et The Strangers Prey at Night. On se « console » comme on peut…
Jonathan Deladerrière
Resident Evil: Infinite Darkness de Hasumi Eiichiro. Japon. 2021. Disponible sur Netflix