Après avoir été acclamé de la critique et du jury du Festival Sundance en 2017 pour son court-métrage And So We Put Goldfish in The Pool, Nagahisa Makoto réalise à présent un premier long-métrage, Little Zombies. Initialement prévu en salles, le film atterrit finalement sur OCS !
Lors du lancement de sa carrière avec And So We Put Goldfish in The Pool, Nagahisa proposait un travail extrêmement audacieux en prenant le parti de représenter l’ennui de façon intense et très rythmée. Nous suivions dans ce court-métrage la présentation de quatre adolescentes japonaises issues d’une petite ville perdue dans les collines. Leur lassitude et leur manque de perspective les menaient à libérer 400 poissons dans la piscine de leur école, dans une tentative désespérée d’occuper leur vie. Le film était très particulier puisque des poissons présents dans le titre, nous ne voyions finalement rien, leur expédition se déroulant pendant la nuit. Les filles, elles-mêmes dans le noir complet, en parvenaient alors à la conclusion que bien que décevante, cette aventure symboliserait peut-être leur seul moment de liberté réelle. Nagahisa contrebalançait toutefois la morosité d’une telle morale en filmant son récit tel qu’il le serait raconté par les adolescentes protagonistes. Le réalisateur insufflait de l’humour et de la légèreté dans le montage et le visuel de son film pour reproduire une expérience juvénile du monde.
Nous retrouvons ce mélange de noirceur et d’optimisme dans Little Zombies, de façon encore plus prégnante puisque encore plus accentuée dans le long-métrage. Little Zombies met en scène quatre pré-adolescents dont les parents sont fraîchement décédés dans des circonstances diverses. Hikari (Ninomiya Keita), Satoshi (Ishi Shinpachi), Ikoku (Nakajima Sena) et Mondo (Takemura Yoki) se rencontrent au cimetière durant les cérémonies rendues à leurs géniteurs et décident de vivre ensemble plutôt que d’aller habiter chez des membres éloignés de leur famille. Sur une idée de Ikuko, seule fille du groupe et pianiste confirmée, la bande décide de former un groupe de musique qui combine rock et chiptune à partir d’éléments de récupération. Ils se font alors repérer par un agent qui décide de booster leur popularité et de leur façonner une carrière de stars nationales.
Tout comme dans And So We Put Goldfish in The Pool, la progression des péripéties n’est pas plus importante que la présentation des personnages, de leur passé et de leur personnalité. Toute la première partie du film fait défiler les morts des parents, toutes différentes, et montre ainsi l’univers familial dans lequel évoluait chacun des protagonistes avant leur rencontre. De même, la voix off de Hikari parsème l’histoire pour la commenter depuis son point de vue, rajoutant au film et à son format très particulier l’impression de découvrir le récit depuis l’intérieur de sa tête. Nagahisa prouve une fois de plus qu’il cerne particulièrement bien les pensées et angoisses des adolescents et qu’il sait construire ses personnages avec finesse et richesse de détails pour les rendre crédibles et touchants. Leur quête est tout autant matérielle que psychologique puisque l’enjeu du film est de montrer la progression de leur rapport au deuil et à l’âge adulte et non seulement Nagahisa évite le pathos puisqu’il présente des personnages relativement indifférents de prime abord à la perte qu’ils ont vécue mais il fait également évoluer leurs sentiments de façon extrêmement juste. Nagahisa s’est exprimé sur le film en disant qu’il cherchait à écrire pour les enfants et nul doute que ceux-ci devraient apprécier une telle représentation tout autant qu’un public plus adulte qui peut tout autant se reconnaître à d’autres niveaux.
A cette écriture précise et fine s’ajoutent une mise en scène et un montage très audacieux. Nagahisa prend le parti d’illustrer son film de façon à ce qu’il corresponde à la vision du personnage principal, Hikari. Hikari est fan de jeux vidéo : aussi Nagahisa emprunte-t-il des spécificités du médium pour construire l’identité visuelle du film ainsi que son rythme. Le film fait bien évidemment penser à un autre long-métrage utilisant ces mêmes spécificités : Scott Pilgrim VS The World. Or, Nagahisa n’appose pas cette réalisation au film pour des raisons de construction de scénario, comme le faisait Edgar Wright, mais pour transmettre l’épopée de Hikari tel que lui-même la vit. Hikari devient alors le créateur complet du récit, qu’il s’agisse du texte comme de sa mise en scène puisque les trouvailles font toujours écho à ce qu’il comprend ou analyse de la situation. Nagahisa filme une scène d’infiltration à la façon d’un niveau du jeu vidéo auquel Hikari joue inlassablement sur sa Gameboy. Le film fourmille d’idées visuelles en dehors de cette esthétique vidéoludique, parfois plus pertinentes que d’autres, mais leur inventivité et la liberté que s’octroie Nagahisa démontrent clairement que son imaginaire est particulièrement riche. And So We Put Goldfish in The Pool était déjà finement travaillé sur ce plan précis mais Little Zombies pousse l’audace encore plus loin sans jamais que cela ne soit au détriment de l’histoire, bien au contraire.
La musique mérite également d’être soulevée puisque pour la première fois, Nagahisa propose une comédie musicale. L’idée de rendre attirante la musique d’un groupe créé par des pré-adolescents pourrait être dangereuse et comme c’est explicité dans le film, à l’exception de Ikuko, aucun des membres de la bande ne maîtrise réellement d’instruments de prime abord. Or, le compositeur Yamada Katsuya réussit à créer un juste milieu entre des partitions entêtantes et jouissives et un grain qui ne trahit pas l’idée d’amateurisme et de tâtonnements musicaux. Nagahisa a écrit lui-même les paroles et il parvient sans surprise aucune à rendre une poésie et une profondeur qui collent parfaitement à Hikari, chanteur et parolier du groupe fictif.
Little Zombies est donc dans la continuité de ce que nous étions en mesure d’attendre d’un réalisateur qui se révèle décidément extrêmement prometteur et son arrivée dans le cercle des réalisateurs de long-métrages se produit en grandes pompes. Les quelques bémols du film sont si rares et si pardonnables au vu de la qualité de l’ensemble qu’ils ne laissent présager qu’une longue et belle carrière pour Nagahisa s’il continue à approfondir son univers de façon si brillante et maîtrisée.
Elie Gardel.
Little Zombies de Nagahisa Makoto. Japon. 2020. Disponible sur OCS le 23/06/2021