EN SALLES – Un Printemps à Hong-Kong de Ray Yeung (en salles le 09/06/2021)

Posté le 9 juin 2021 par

Un Printemps à Hong-Kong sort dans les salles françaises aujourd’hui, tout auréolé de son joli succès en festivals. Sur un sujet doublement tabou, une histoire d’amour entre deux hommes âgés, Ray Yeung confronte devoir et désir au crépuscule d’une vie entière à se cacher.

Pak, chauffeur de taxi et Hoi, retraité, vivent à Hong Kong. Ils ont construit leur vie autour de leur famille mais leur rencontre, au hasard d’une rue, les entraîne sur les pentes d’une belle histoire d’amour, qu’ils décident de vivre sans toutefois bouleverser les traditions de leur communauté.

Un printemps à Hong-Kong est le troisième long-métrage du réalisateur et scénariste Ray Yeung. S’intéressant à un thème aussi rarement abordé que potentiellement risqué, il évite les écueils que l’on pouvait craindre et livre un portrait nuancé de ces vieux amants vivant leur dernière, et peut-être seule, grande histoire d’amour. Activiste et cinéaste LGBT revendiqué, Ray Yeung communique un attachement palpable à son sujet et une grande bienveillance envers ses personnages, dont il ne se détache jamais afin de capturer au mieux leurs questionnements et leurs aspirations, les deux se recoupant souvent sans pouvoir se rejoindre totalement.

Lors des premières scènes, le film introduit les deux hommes dans des parallèles plutôt bien amenés, donnant aisément un sens de la routine assimilée au fil des années selon les parcours de chacun. Davantage qu’un ensemble cohésif, le cinéaste construit Un Printemps à Hong-Kong sur une succession d’instants intimes et de conversations du quotidien. Une petite musique s’installe rapidement, laissant entendre quelques subtiles dissonances (dans le rapport de chacun des deux hommes au travail, leurs dynamiques familiales, leurs positions sociales) sans pour autant noyer la relation touchante et vulnérable qui se noue.

Alternant sans cesse entre la « bulle » des amants et l’extérieur social, l’un dans un schéma purement traditionnel, l’autre plus à la marge mais soucieux de protéger un fils conforme en tous points à ce qu’attend la société, Ray Yeung s’attache au discours (totalement ouvert d’un côté, littéralement « domesticisé » de l’autre) mais s’attarde davantage sur les visages, très expressifs, de ses comédiens et à chaque petits gestes révélant malaises et vérités. Tout ceci est attachant mais le film ne tire aucun parti des aspérités introduites de ça et là (l’insistance de Pak à faire asseoir Hoi à l’arrière de son taxi, la rigidité empreinte de piété filiale du fils d’Hoi, la confrontation silencieuse de Pak et son épouse sur le mariage de leur fille, etc.) qui auraient permis de lui donner une ampleur supplémentaire. Un Printemps à Hong-Kong est délicat, il l’est peut-être un peu trop. A force de délicatesse, l’histoire se fragilise et demeure au final, trop frêle pour bouleverser autant qu’elle ne le devrait.

A la manière d’un Ira Sachs, Ray Yeung sonde l’intime, voire l’anodin, pour entamer une réflexion bien plus large sur l’évolution (ou pas) de la société de son pays. Il manque néanmoins de rigueur dans l’exécution et malgré un joli enchaînement de scènes, le film semble ne jamais commencer vraiment. Au mieux, il tourne en rond jusqu’à une accélération finale assez maladroite et plus confuse qu’autre chose. Le film dissémine des éléments et échoue cependant à provoquer une discussion ou un investissement significatif, soit par manque d’une vision claire, soit par un excès de pudeur qui tranche toutefois avec la frontalité du rapport à l’intime et au corps.

Alors même que le film se recentre sur ses deux protagonistes, il s’éparpille et passe ainsi un peu à côté de son sujet. En refusant de choisir un point de vue, Un Printemps à Hong-Kong se limite alors à une parenthèse touchante et profondément sincère mais qui ne reste pas autant en tête que l’on aurait voulu. Ce qui reste néanmoins, ce sont les scènes de groupe de parole dont le projet de maison de retraite pour les hommes gays sert de toile de fond au film. Si le symbole est évident, ces séquences sont le meilleur atout du film, dans ce qu’elles captent de la vivacité de ces personnalités et ces destins partagés. Le vrai sujet du film se cachait peut-être là et on se met à espérer que Ray Yeung décline ce travail en documentaire, comme une réponse asiatique aux Invisibles de Sébastien Lifshitz, pour donner la parole à ces dissimulés de la société avec l’empathie et la sensibilité dont témoigne indéniablement ce Printemps à Hong-Kong.

Claire Lalaut

Un Printemps à Hong-Kong de Ray Yeung. Hong-Kong. 2019. En salles le 09/06/2021