VIDEO – Yuki, le secret de la montagne magique d’Imai Tadashi

Posté le 2 février 2021 par

Yuki, le secret de la montagne magique de Imai Tadashi, ressorti en salle en septembre dernier est désormais disponible dans une belle édition DVD/Blu-Ray chez Rimini Editions. Une nouvelle chance de découvrir cette pépite méconnue de l’animation japonaise.

Petite fille de noble ascendance, Yuki vit au Ciel avec ses grands-parents, qui veillent sur la Terre. L’année de ses 13 ans, elle est envoyée chez les humains pour faire revenir la paix. Si elle réussit, elle pourra revenir au Ciel, auprès des siens. Si elle échoue, elle se transformera en un vent glacial. Confrontée aux tourments des habitants d’un village du Japon féodal, elle découvre que le Démon de la Montagne est la cause de tous leurs maux. Elle part à sa recherche pour libérer les villageois…

Yuki

Yuki, le secret de la montagne magique est une vraie rareté de l’animation japonaise, produite conjointement par Mushi Production (le studio de Tezuka Osamu) et la Nikkatsu. C’est le seul film d’animation de son réalisateur Imai Tadashi, véritable vétéran de l’industrie cinématographique japonaise. Cette incursion en terrain inconnu n’en reste pas moins marquée de sa personnalité. Ses films les plus reconnus reflètent ses penchants humanistes et son engagement marxiste comme Nous sommes vivants (1951) produit en indépendant et sorte de variation japonaise au néoréalisme italien. On trouve cette préoccupation pour les opprimés dans Ombres en plein jour (1956) au cadre contemporain, mais aussi dans Contes cruels du Bushido (1963), description rigoureuse du Japon féodal récompensée d’un Ours d’or à Berlin.

Yuki constitue une forme de synthèse de tout cela, mais agrémentée d’éléments fantastiques et calibrés (dans le bon sens du terme) pour un jeune public. L’histoire se déroule donc dans un Japon féodal à feu et à sang, et plus particulièrement pour les démunis que sont les paysans. Ils sont exposés à la cruauté des pillards, la violence des samouraïs et à la cupidité des seigneurs réclamant leur dîmes. Le récit est fidèle à la hiérarchie féodale japonaise qu’il rend limpide en nous la faisant découvrir les injustices observées. Cela se fait à travers le regard de Yuki, jeune fille d’ascendance divine chargée d’apaiser les souffrances des villageois en un an. Imai mélange imagerie chrétienne, shintoïste et conte traditionnel japonais. Sa vision des cieux, la stature du grand-père (dont le visage arbore un certain cliché imposant/bienveillant de Dieu chrétien monothéiste) et un postulat évoquant en loin celui du Conte de la princesse Kaguya – adapté récemment par Takahata Isao – participent de l’esthétisme et de la tonalité de ce mélange.

On devine l’expérience de cinéma traditionnel d’Imai dans l’art de tirer le meilleur de ce passif et des possibilités de l’animation. On sent une volonté de rigueur dans la description de la vie rurale de l’époque, mais le tout dans une stylisation où s’entremêlent une forme d’épure et de ligne claire du décor en estampe avec l’allure plus arrondie et cartoonesque des personnages. Cela sert un environnement tangible où peut s’inviter le merveilleux par les apparitions du cheval blanc Fubuki, et une forme de légèreté avec la troupe de jeunes mendiants à laquelle va se lier Yuki. L’héroïne a pour rôle de faire prendre conscience aux paysans de leur importance dans la chaîne de pouvoir, et par conséquent de s’opposer aux dominants. Le fait d’observer le courage d’une adolescente pétrifier toutes les formes de mal va donc enhardir la communauté. Imai déploie une mystique et un onirisme croissants pour magnifier les prodiges de Yuki. Il y a une vraie différence entre la violence des différents oppresseurs sur laquelle on s’attarde crûment, celle nécessaire des paysans adoucie par des artifices formels (plan crayonnés, panoramiques sur décor fixe) et l’aura pacifiste mais déterminée de Yuki. Le réalisateur façonne de véritables parenthèses oniriques au cœur des batailles au cours desquelles la bande-originale magnifie l’héroïne par sa dimension épique et naïve, notamment avec l’usage de chœurs qui viennent rappeler sa candeur juvénile.

L’un des beaux messages du film est que le mal est partout, tant chez ceux qui nous  tourmentent que dans nos cœurs. On peut apprendre à le dompter ou y céder, et c’est fort logiquement (dans cette veine de conte) que ce mal comme cette innocence se personnifie de façon littérale. Les jeunes compagnons de Yuki, pas encore souillés par la vie représentent cette dévotion. Le mal ordinaire qui ronge chacun existe quant à lui sous la forme explicite d’un démon. C’est en acceptant de recevoir mal (on retrouve ce mélange où la chrétienté sacrificielle côtoie le pacifisme shintoïste, le père d’Imai était d’ailleurs moine bouddhique) que Yuki triomphe dans une somptueuse conclusion. Le film anticipe nombre d’idées visuelles et thématiques des productions Ghibli. L’héroïne messianique et l’apparition finale du démon annoncent entre autre Nausicaä (1985). Une belle réussite méconnue à découvrir.

Bonus : Une interview (19mn40) d’Olivier Fallaix, spécialiste de l’animation japonaise et fondateur d’Animeland. Il détaillera tous le processus de production et parcours des collaborateurs du film. On apprend ainsi qu’il s’agit de l’adaptation de Saito Ryusuke, auteur de roman pour enfant habitué à intégrer des problématiques réalistes dans des récits destinés au jeune public, élément que l’on trouve dans Yuki. Parmi les autres informations importantes, on découvre que le chara-design du film est assuré par rien moins que Chiba Tetsuya, célèbre mangaka auteur de Ashita no Joe dont le studio Mushi avait produit la première adaptation télévisée. Un bonus riche et instructif.

Une présentation (5mn54) de Pascal-Alex Vincent, enseignant et spécialiste du cinéma japonais. Il dresse le portrait d’Imai Tadashi, cinéaste live dont Yuki est le seul film d’animation. Sa sensibilité pour les personnages féminins forts, sa conscience sociale et le cadre récurrent du jidai-geki dans ses films sont développés avec plusieurs extraits de ses films antérieurs, ce qui crée un parallèle saisissant et une vraie cohérence avec son approche sur Yuki. Un module concis et passionnant sur un cinéaste encore méconnu.

Parmi les autres suppléments, une bande-annonce, un clip musical et des cartes postales tirées d’images du film.

Justin Kwedi

Yuki, le secret de la montagne magique de Imai Tadashi. Japon. 1981. Disponible en coffret DVD/Blu-Ray chez Rimini Editions le 20/01/2021.

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