La Biographie d’un jeune accordéoniste est l’œuvre la plus récente de la sélection du Festival du Film Kazakhstanais en France : sorti en 1994, après la fin du bloc soviétique, cet Amarcord kazakh porte un regard nostalgique sur l’enfance rurale après la Seconde Guerre mondiale, tout en critiquant le stalinisme.
Là où les autres films de la sélection de la deuxième édition du Festival du Film Kazakhstanais sont « inoffensifs » à l’encontre du pouvoir politique, soutenant même le régime soviétique et dessinant un certain roman national kazakh (Amangueldy, Le Chant de Manchouk, La Fin de l’Ataman ou Le Transsibérien Express), La Biographie d’un jeune accordéoniste détonne. Il aborde sans détour plusieurs aspects du stalinisme des années 40-50 : la répression du NKVD vis-à-vis de toute personne soupçonnée de ne pas suivre la vision politique du régime, la campagne antisémite contre le « cosmopolite sans racine » ou l’exploitation des prisonniers de guerre japonais. Et pour cause : dans les années 80-90, le bloc soviétique est tombé, libérant les réalisateurs du joug idéologique. C’est la Nouvelle vague qui verra l’essor de Rachid Nougmanov, Darejan Omirbaev ou Amir Karakoulov.
Satybaldy Narymbetov use de cette liberté dans son premier long métrage pour raconter, parfois avec onirisme, son enfance. On pense immédiatement à Amarcord, film dans lequel Frederico Fellini évoque son enfance dans l’Italie fasciste, avec sa kyrielle de personnages excentriques et pittoresques. On pense également à la chanson Desolation Row de Bob Dylan et son grotesque Mardi Gras. Dans La Biographie d’un jeune accordéoniste, on suit donc les aventures du jeune Eksen (alter ego du réalisateur) qui fait les 400 coups avec ses amis turbulents. Ils côtoient des personnages hauts en couleur : le chef de police maladroit et bedonnant, des émissaires du NKVD, des soldats en permission, une prostituée rigolarde, un attardé mental, des prisonniers de guerre japonais, un enfant un peu trop grand qui continue à téter le sein de sa mère, un cavalier qui perd son œil de verre, un adolescent collectionneur de photos érotiques, une bande d’ivrognes, un organisateur de bal musette ou la jeune bibliothécaire convoitée par tous les hommes… Un cirque vivant !
Tout en représentant la vie rurale vers 1950 et en montrant des affres du stalinisme (le père d’Eksen arrêté et jeté en prison, l’ami juif d’Eksen dont le père a disparu, l’exploitation des prisonniers de guerre japonais), Satybaldy Narymbetov enrobe son film d’onirisme. Il se commence et se termine en rêve en couleur, avec une voix off : « C’était le matin. Ils étaient deux à marcher. Lui et elle. Je les suivais du regard mais ils ne m’ont pas aperçu. Soudain, le brouillard dense est tombé et je les ai perdus… pour toujours. Comme s’ils étaient dissous dans le brouillard, comme s’ils avaient fondu. C’était ma mère et mon père ».
Dans le film, le jeune Eksen côtoie plus que de raison les adultes et apprend en accéléré la vie en observant leur égoïsme, leur veulerie et leur cruauté : il joue de l’accordéon dans les bals populaires, découvrant les jeux de séduction supervisés par les forces de l’ordre ; il épie les ébats d’une prostituée avec le père d’un de ses amis ; il regarde en cachette un homme tenter de se pendre ; il assiste à l’arrestation de son père et à l’assassinat d’un de ses amis militaires. Un quotidien traumatisant dans lequel il trouve refuge auprès de ses amis (tirs à la carabine, séance clandestine de cinéma, échange de photos érotiques) et son premier émoi amoureux, forcément impossible.
Un film particulièrement touchant qui se termine comme dans un songe où le jeune Eksen et le réalisateur Satybaldy Narymbetov se retrouvent pour regarder en arrière : dernier hommage aux parents et au premier amour disparus. Hommage au cinéma. On peut enfin rouvrir les yeux.
Marc L’Helgoualc’h
La Biographie d’un jeune accordéoniste de Satybaldy Narymbetov. 1994. Kazakhstan. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais en France