Festival du Film Kazakhstanais en France – Notre cher Docteur de Chaken Aïmanov et Aleksandr Karpov

Posté le 30 décembre 2020 par

Dans le cadre du Festival du Film Kazakhstanais en France, nous pouvons voir pléthores de films classiques et rares du pays des steppes d’Asie centrale. Attardons-nous sur Notre cher Docteur de Chaken Aïmanov et Aleksandr Karpov, produit en 1957 et qui figure parmi les meilleures surprises de l’évènement.

Le Docteur Lavrov, un médecin russe, travaille dans un sanatorium du Kazakhstan depuis des années. Il s’agit d’un homme simple et dévoué à ses patients, ce que ne reconnaît pas toujours le directeur de l’établissement, un homme au caractère bien trempé. Le jour du 60ème anniversaire du Docteur, les employés et les patients ont décidé de lui réserver une belle surprise : une fête pour laquelle ils vont demander à nombreux artistes du music-hall de venir jouer.

L’œuvre a été réalisée sous l’ère soviétique. On y décèle, peut-être plus que dans d’autres productions de l’époque, la main mise du pouvoir russe : la présence de personnages slaves au premier plan (Lavrov et la secrétaire), aucune allusion à la religion musulmane pratiquée par de nombreux Kazakhstanais, ainsi que l’absence de focus sur les paysages du Kazakhstan, la mise en scène préférant les plans tournés dans des décors apatrides. Dans un registre vaguement similaire sur le ton, Je m’appelle Koja, tourné en 1963, fait apparaître ces éléments. Pour autant, Notre cher Docteur donne de l’espace à de nombreux protagonistes kazakhs et se veut, en quelque sort, une déclaration d’amour à la douceur de vivre au Kazakhstan. Un réel équilibre est trouvé entre les deux parties, celles des Russes et des Kazakhs, tous deux prenant part à la production de l’époque, dans un élan de collaboration politique à travers le cinéma.

Notre cher Docteur fait partie de ces films feel good, où la joie des personnages et la douceur qui se dégagent de l’intrigue sont communicatives et irriguent l’écran. Le film s’ouvre et se clôt par un personnage féminin qui s’adresse aux spectateurs et évoque sa relation à la romance, sachant qu’elle aura dans le film deux prétendants. Il y est question d’un amour léger, ainsi que d’amitié : celle qui unit le docteur russe à son vieil ami kazakh, tout comme le respect qu’éprouvent les artistes pour ce médecin charmant. Les sentiments des personnages sont purs, dépourvus du moindre doute ou de l’habituelle tension inhérente aux ressorts dramatiques du cinéma – que l’on peut trouver jusque dans les comédies, pour générer un semblant de suspense. Le film est un grand ballet dans lequel les personnages rient, sourient, dansent, chantent… Même les disputes entre Lavrov et le directeur sont propices à la bonne humeur, car elles sont là pour pointer du doigt le caractère ridicule et amusant du chef d’établissement.

Le film a été réalisé en 1957, et a été colorisé en 1974. Loin de dénaturer l’idée originale, la couleur aux teintes pastel appuie la chaleur de l’intrigue et magnifie certaines scènes de music-hall. Une courte séquence, celle d’un chanteur d’opéra qui s’adonne à une berceuse pour endormir un bébé, se voit stylisée par l’utilisation d’une animation en dessin animé. Mélanger ainsi les médiums permet de générer de nouvelles formes et de nouvelles couleurs, et achève d’imprégner des images du plus bel effet dans les esprits des spectateurs. Quelques autres séquences se révèlent aussi inventives que réjouissantes. On pense à la scène de la « rencontre » entre le chat du docteur et le hérisson que lui offre son ami, dont les dialogues sont aussi originaux que cocasses.

Notre cher Docteur semble un film à part, qu’on peut être tenté de rapprocher de certains films felliniens des années 1950, voire du Hollywood Classic. Le film trouve toutefois son propre espace dans la création de ses personnages, définitivement originaux et compose avec différents effets de mise en scène – l’incursion de l’animation, la captation de numéros d’artistes, la comédie en décors, un début de road movie en extérieur – qui tournoient en même temps que la bonne humeur des personnages. Nous laisserons le Docteur et ses amis juste avant la représentation dédiée à son anniversaire, sans que nous soyons déçus. Nous y avons déjà vu la plus belle facette de l’être humain.

Maxime Bauer.

Notre cher Docteur de Chaken Aïmanov et Aleksandr Karpov. URSS. 1957. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais en France