Carlotta Films sort un coffret Blu-Ray/DVD consacré à cinq classiques rares du pinku eiga. On poursuit l’exploration du coffret avec Deux Femmes dans l’enfer du vice de Mukai Kan, pur film d’exploitation nourri des tendances pop et provocatrices du moment. Ce qui est sa qualité et son principal défaut.
Suite à un krach boursier inattendu, un agent de change est contraint d’offrir sa femme à son créancier, Uchiyama, pour éponger ses dettes. Enfermée dans un cabanon, elle sert de distraction au fils, qui souffre de handicap mental. Mais lorsqu’elle retourne enfin chez elle, elle se fait renverser par une voiture. Effondré, son mari sombre dans la dépression. Sa fille Mariko, devenue call-girl de luxe, décide alors de venger ses parents...
Deux Femmes dans l’enfer du vice est une œuvre que l’on doit à Mukai Kan, pionnier avec Wakamatsu Koji du pinku eiga et par la suite véritable entrepreneur du genre à travers lequel il révèlera de nombreux talent (comme Takita Kojiro, futur réalisateur de l’oscarisé Departures). Son principal atout repose sur sa capacité à flairer l’air du temps, tant sur le point formel que dans le choix des sujets souvent liés aux faits divers japonais contemporains, ainsi que l’évolution des mœurs. Cette aptitude se remarque dans Deux Femmes dans l’enfer du vice par un savant mélange de mélodrame, d’érotisme et d’esthétique psyché pop qui nous fait naviguer dans le monde la nuit tokyoïte. En terme d’atmosphère et d’audaces visuelles, le film est donc un vrai témoignage de son époque, que ce soit ce générique du début, décalque de Goldfinger en plus putassier, ou son approche transgressive de l’érotisme.
L’écrin des scènes de sexe est stylisé par l’usage d’éclairages baroques, et ce qui s’y déroule peut s’avérer fort provocateur et dérangeant à l’image d’une séquence incestueuse homosexuelle. Mais à l’inverse, la mise en scène de Mukai Kan se montre simple et crue pour accompagner ces moments par l’usage grossier de gros plans (notamment sur les attributs mammaires de son casting féminin) ou un montage jouant sur la répétitivité comme le cycle de la prostitution de l’héroïne faisant défiler les notables à son domicile. Si ce côté frontal suffit à faire détonner le film de la concurrence lors de sa sortie, cela semble bien timide aujourd’hui au regard des propositions du pinku eiga dans les années à venir. Ce qui aurait donc pu faire passer l’épreuve du temps au film aurait dû reposer sur une mise en scène plus inventive que bassement commerciale et une approche du sujet personnelle. Le film ne parvient pas à être un de ses fascinants et schizophrènes pinku alliant imagerie racoleuse pour le chaland masculin et message féministe avec son héroïne (Hashimoto Miki) se vengeant de sa famille brisée par un créancier libidineux. Malheureusement, la narration languissante ne fait pas grand-chose de son postulat et, sorti des fameuses scènes érotiques, la construction de la vengeance n’a rien d’exaltant puisque reposant sur la spéculation boursière paresseusement exploitée à l’image.
Le fond intéressant est bien là, dans l’avilissement revanchard de l’héroïne, mais on sent que cela reste un prétexte à multiplier les scènes de sexe plutôt qu’à poser une trame intéressante. C’est dommage car quelques sursauts dramatiques comme la scène finale (faisant définitivement de tous les hommes des lâches) laissent entrevoir une histoire qui aurait pu avoir plus de consistance.
Bonus : Présentation de Dimitri Ianni, spécialiste du cinéma japonais, qui dépeint l’approche « commerciale » et l’aspect cinéma d’exploitation de Mukai Kan ainsi que ses quelques spécificités formelles. Dans le livre accompagnant le coffret, il détaille un peu plus la longue carrière du réalisateur, véritable stakhanoviste du pinku au sein duquel il révéla plusieurs talents.
Justin Kwedi
Deux Femmes dans l’enfer du vice de Mukai Kan. Japon. 1969. Disponible en coffret Blu-Ray/DVD chez Carlotta le 30/09/2020.