Avec Lonely Fifteen, Spectrum Films poursuit son exploration des sous-genres qui ont forgé le cinéma hongkongais. Le film de David Lai, produit par les frères Mak, documente les errements de la jeunesse à Hong Kong au début des années 1980. Il est le point de départ des films de jeunesse féminine qui vont essaimer par la suite.
Une jeune fille de 15 ans a la vie dure. Après avoir divorcé, sa mère devient alcoolique et fréquente une brute épaisse. L’ambiance délétère de sa cellule familiale se ressent dans son quotidien, puisqu’elle multiplie, avec sa bande de filles, larcins et bagarres. De mal en pis, elle finit par quitter le foyer pour devenir prostituée dans un club à hôtesse.
Derrière Lonely Fifteen se cache non pas une seule tête pensante, mais trois : le réalisateur David Lai bien sûr, épaulé par ses mentors les frères Johnny Mak, et Michael Mak comme producteurs. Ensemble, ils vont signer parmi les films les plus innovants du début des années 1980 à Hong Kong avant de se diriger vers un cinéma plus commercial. La volonté du trio, accompagné du scénariste touche-à-tout Manfred Wong, est de faire un portrait le plus franc possible de la jeunesse. Pour ce faire, ces messieurs vont largement se documenter et chercher à fréquenter quelques jeunes gens, afin d’apporter une crédibilité incontestable à leur œuvre. Il est important de noter que si cette crédibilité est l’argument de poids pour vendre le film, à aucun moment elle ne se mue en un documentaire froidement réaliste. David Lai et son scénariste ont construit un scénario solide autour de leur héroïne, dans une optique dramaturgique. Lonely Fifteen s’ouvre sur un enchaînement de photos de famille, entourées des voix des personnages qu’elles montrent ; la dérive du climat familial y est explicitement exprimée, à travers la mère qui fait des reproches à sa fille dans un contexte de divorce. Au fur et à mesure du long-métrage, la cellule familiale de l’héroïne explose et la mène vers ce choix difficile qu’est la prostitution.
Partant de ce postulat, Lonely Fifteen déroule ses péripéties à un rythme de croisière, en ne manquant pas d’alterner les séquences « chaudes » et les séquences « froides ». Le long du récit, une minutie est accordée à la dignité de ses protagonistes – les rêves de luxe, la sororité, les amours – permettant ainsi l’empathie pour eux. Ces scènes axées sur leur psychologie et leur désir forment la composante chaude du film. Elles témoignent d’un sincère intérêt des metteurs en scène pour l’humain, et d’autant plus ici que les personnages ont été extraits de la vie réelle, aussi bien par le travail de documentation, que les actrices et les acteurs, qui sont de ces jeunes que David Lai a rencontrés. À l’inverse, et c’est là toute la force du métrage, le drame vient ponctuer le récit, pour que l’ambition de documenter un sujet de société difficile se transcende par la fiction avec une dimension tragique. Ces éléments, savamment mélangés, dosés, donnent raison à Lai et aux Mak quant à l’intention de base.
Le film ne recherche pas l’intemporalité comme le veulent souvent les chefs d’œuvre du cinéma. Les coupes de cheveux, les vêtements, les objets du quotidien et le fond musical sont tout à fait datés. Ainsi fait, Lonely Fifteen demeure plus que jamais une photographie de Hong Kong en 1982 et des préoccupations de la jeunesse de l’époque. Osons même dire que Lonely Fifteen est précurseur de nombreux films de tous les cinémas chinois, pourquoi pas taïwanais et continentaux, dans lesquels la jeunesse évolue dans une métropole tentaculaire prête à les engloutir au moindre faux pas, et comme hypnotisés par les couleurs chatoyantes des néons. Il est en quelque sorte l’un de ces films de la mondialisation, car le destin de ses héroïnes, fortes et opiniâtres mais finalement perdues dans les lumières de la ville, se retrouve partout dans le monde. On pense bien sûr à l’influence qu’aurait eu le film allemand Christiane F. sur la création de Lonely Fifteen (les frères Mak s’en seraient servis de matériau de base mais David Lai n’en n’aurait entendu parlé qu’après avoir bouclé le film). Ce que le cinéma dit sur les grandes villes, c’est qu’elles sont trop denses et foisonnantes pour constituer une atmosphère sereine. De frustration en déception, le foyer éclate et la jeunesse se raccroche à des illusions. À ce titre, les mégalopoles asiatiques, comme Hong Kong, forment un décor de choix, car elles figurent parmi les plus grandes et libérales au monde.
L’édition combo Blu-Ray/DVD
Le master de l’édition française a été restauré 2k dans un laboratoire français. La copie finale n’est pas sans défaut, certains plans conservant des éclats de pellicule, d’autres aux décors très flous et, plus gênant, des mouvements rapides et également très flous des personnages lors de plans dans l’obscurité. Il reste tout de même des couleurs d’un bel aspect chatoyant, qui pour sûr apportent beaucoup à la beauté des images de nuit dans les clubs.
Les bonus vidéo sont au nombre de 8 :
Un comparatif avant/après restauration. Effectivement, l’écart est édifiant et on s’aperçoit de la pâleur de la copie originale.
L’interview du réalisateur David Lai. Dans un anglais impeccable, Lai revient sur le travail de documentation et sur ce que le film a apporté en son temps. On ressent l’implication qu’il a pu avoir sur Lonely Fifteen.
L’interview de l’actrice Irene Wan. L’actrice principale Becky Lam n’a pas souhaité faire carrière dans le cinéma et bien qu’ayant remporté le prix de la meilleure actrice en 1982, Lonely Fifteen est son seul film. En revanche, Irene Wan, dont le personnage nous brise le cœur, est devenue une actrice connue. Les quelques anecdotes qu’elle décrit permettent d’apporter un autre regard sur l’œuvre que ceux du point de vue des créateurs, d’autant que le travail d’interprétation des acteurs et des actrices y est capital.
L’interview du producteur Michael Mak. Mak élargit l’angle de vue à travers l’histoire de la Johnny Mak Production, fondée par son frère. L’occasion est de rappeler que la petite firme, en joint-venture avec Golden Harvest, a produit de petits chefs-d’œuvre, tels que Le Bras armé de la loi 1, 2 et 3. La production s’est tout d’abord illustrée dans les films aux sujets de société et c’est en cela qu’elle a marqué les esprits.
La présentation du film par Arnaud Lanuque. Toujours précis et impeccable, Lanuque dit en peu de temps énormément de choses sur le contexte du film et de la société hongkongaise de son époque.
La présentation du film par Frédéric Monvoisin. À travers une optique plus analytique, Monvoisin pousse haut le décryptage du film, avec un focus sur la perception de la rétrocession 15 ans auparavant, latente, et comment elle a créé un climat turbulent dans la colonie anglaise et ainsi donner des films anxiogènes tels que Lonely Fifteen.
Une analyse de la représentation de la jeunesse à Hong Kong par Julien Sévéon. On retrouve Sévéon comme on retrouve Lanuque dans les bonus de Spectrum. Sévéon a une connaissance macro impressionnante et permet de situer Lonely Fifteen parfaitement, à travers les liens entre le film et les personnalités qui lui ont donné vie.
Une longue analyse par le podcast anglophone Podcast On Fire. Les deux animateurs, qui ont fait de longues recherches sur le contexte du film, sur le réalisateur David Lai et les actrices Irene Wan et Becky Lam, offrent un beau regard sur la production cinématographique hongkongaise des années 1980. Ils évoquent Lonely Fifteen de long en large en une heure d’enregistrement, mettent le doigt aussi bien sur ses immenses qualités – la prise de son direct, qui n’a rien d’anodin en 1982 compte-tenu de la rareté du procédé à Hong Kong – que sur ses limites – des pistes narratives peu ou mal explorées, à attribuer au manque d’expérience de David Lai à l’époque.
La bande-annonce.
Maxime Bauer.
Lonely Fifteen de David Lai. Hong Kong. 1982. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en août 2020.