Vij ou le diable est un classique de la littérature russe, un conte horrifique écrit par Nicolas Gogol en 1835, devenu un classique du cinéma soviétique sous la caméra de Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev. Le film est ressorti en version restaurée 2k chez Artus Films.
Khaliava, Khoma et Gorobets, de jeunes séminaristes, ont eu le droit à quelques vacances. Alors qu’ils sont sur le chemin du retour, ils croisent une vieille femme et lui demandent l’hospitalité pour la nuit. Khoma va vite découvrir à ses dépends qu’ils ont à faire à une sorcière…
Nous avons écrit quelques news au sujet de Viy 2 : Journey to China, dans lequel Arnold Schwarzenegger tient la vedette aux cotés de Jackie Chan. Viy et Viy 2 sont deux blockbusters russes, peut-être à l’aune d’une franchise comme cela a pu être fait en Chine avec le Voyage en Occident et la légende du roi singe. Ce qu’il faut savoir, c’est que la version de 1967 extraite du roman de Gogol – qui n’est pas une première adaptation au cinéma – a eu un succès retentissant en son temps, et est souvent considéré comme l’unique film d’épouvante de l’Union soviétique. Présent dans les mémoires russes, il pourrait être le terreau d’une saga à succès, en montrant un bestiaire complètement frappé, et en premier lieu de cette créature, « Vij », ou « Viy », le patron des gnomes dont les paupières « tombent jusqu’au sol ». Il est vrai que nous sommes plus proches de l’horreur hollywoodienne des années 1930, celle des Universal Monsters (Frankenstein, L’Homme invisible, Dracula…), faits de maquillages et de décors en carton-pâte, néanmoins inventifs, que quelque chose qui serait terriblement effrayant aujourd’hui. La faute, en partie, à certains choix de mise en scène, comme l’idée de commencer le film dans une veine comique et de montrer le monstre Vij sans détours ni angles mystérieux. Guillermo Del Toro ne renierait d’ailleurs pas ces choix, lui qui aime qu’on voit pleinement les monstres au cinéma.
Si on observe le film avec un regard analytique, on ne peut toutefois que constater que la mécanique horrifique est là. Le personnage du séminariste démarre le film dans une atmosphère bon enfant, il ne fait que s’amuser avec ses comparses. L’horreur s’amorce lentement à partir de l’apparition de la sorcière, épisode durant lequel il fait face à la situation avec courage mais aussi aveuglement – il frappe la sorcière sans voir qu’elle change d’apparence. Puis lorsque le séminariste prend conscience du danger de mort auquel il va faire face lors des veillées, l’enjeu est saisi. Par les failles du protagoniste, lui qui est un polisson à la base et qui ne fait que s’auto-convaincre qu’il peut terminer son devoir même si cela va être dur, on ressent peu à peu que la comédie prend fin. Les veillées sont le cœur du film, et mobilisent aussi bien le meilleur de l’acteur et de l’actrice concernés, que les effets spéciaux et la narration, car plus les veillées passent, et plus la tension augmente. La sorcière fait en effet montre de plus en plus de sorts et de tours virevoltants, jusqu’à l’ultime veillée où elle convoque Vij et les monstres. C’est un festival de maquillages des plus réjouissants, tous ces personnages ayant des faciès anarchiques, aux yeux, bouches et nez multiples, que nous devons à la direction artistique d’Alexandre Ptouchko, génie russe des effets spéciaux. Quelques détails ne paient pas de mine mais se savourent, à l’image de la voix rauque et carabinée de Vij, non sans rappeler les effets sonores des kaiju eiga et autres tokusatsu.
La substance du film est héritée de la nouvelle de Gogol, que l’on peut éventuellement analyser par le prisme du vernis soviétique. Elle se caractérise par la victoire des forces du mal face à un jeune homme de foi, un intellectuel défaillant, et qui plus est, face à une femme déguisée en bourgeoise. Pessimiste, nihiliste et misogyne, tels sont les adjectifs qui caractérisaient Gogol – comme d’autres auteurs classiques européens, ainsi que le rappelle le livret joint. Malgré ces facettes pesantes de l’œuvre de l’auteur ukrainien, qui a tout de son rapport au monde et d’un profond ressentiment misanthrope, Vij ou le diable, le film, a quelque chose du ressort de l’enfance. Il s’agit d’un conte médiéval, écrit par un auteur classique, et qui fait se confronter un jeune homme naïf et égoïste à monstres et sorcières. Le film se constitue dans ce cheminement, et semble privilégier le côté initiatique du scénario et les effets spéciaux plutôt qu’une réflexion métaphysique, sur la religion et l’inconnu. Il en ressort un long-métrage bariolé, frais – d’autant que les metteurs en scènes étaient jeunes en 1967 – qui se regarde avec amusement et émerveillement pour ses monstres de foire et ses gestes premiers de cinéma dans les effets spéciaux.
Bonus
Outre le film-annonce original et le générique français, l’édition Combo Blu-Ray/DVD d’Artus comporte deux principaux bonus : la présentation du film par Stéphane Derderian et Christian Lucas, qui s’attache à évoquer la transposition du conte à l’écran – et le livret écrit par Nicolas Bonnal, principalement autour de Nicolas Gogol. Si le livret fait le choix contestable d’une certaine écriture (utilisation de la première personne, ponctuation), il demeure une analyse fouillée de tout un pan de la fiction d’horreur, de la littérature classique européenne au cinéma américain de la deuxième moitié du XXe siècle, avec au centre, l’œuvre de Gogol. Le bonus vidéo est, lui, une présentation claire et efficace du film.
Maxime Bauer.
Vij ou le diable de Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev. URSS. 1967. Disponible en Combo médiabook Blu-Ray/DVD le 06/06/2020 chez Artus Films.