VIDEO – Le Conte du Tsar Saltan d’Alexandre Ptouchko

Posté le 11 juin 2020 par

En début d’année, Artus Films a édité, dans une belle édition, Le Conte du Tsar Saltan, beau livre d’images qui permet de découvrir l’oeuvre du génie de l’imaginaire russe, Alexandre Ptouchko.

Le tsar Saltan choisit son épouse parmi trois sœurs. Tandis que la cadette devient tsarine, les deux aînées, pleines de jalousie, font tout pour lui nuire. Alors que le tsar est parti guerroyer, la tsarine met au monde le prince Gvidon. Avec l’aide du traître conseiller, les deux sœurs parviennent à se débarrasser de la mère et du fils en les jetant à la mer dans un tonneau. Naufragé sur l’île de Bouïane, le prince grandit à une vitesse déconcertante. Un jour, il sauve un cygne des griffes d’un aigle. Le cygne est en fait une princesse victime d’un sort, et va l’aider à faire justice.

Le Conte du Tsar Saltan est l’avant-dernier film d’Alexandre Ptouchko, maître de l’imaginaire au sein du cinéma soviétique. Alexandre Ptouchko est une sorte d’alliance entre Walt Disney et Ray Harryhausen, sa poésie et ses visions extraordinaires s’étant exprimées à la fois au sein du cinéma d’animation et dans celui en prise de vues réelles. Il débute dans le cinéma muet où il se spécialise donc dans l’animation à travers sa maîtrise des marionnettes et signe son premier long-métrage parlant en 1932. Le succès arrive en 1935 avec une adaptation des Voyages de Gulliver avec des marionnettes et va diriger la section animation du studio Mosfilm. Durant la Seconde Guerre mondiale, il se spécialise dans les effets spéciaux, ce qui l’oriente vers le cinéma live à travers des adaptations de contes traditionnels russes. La Fleur de pierre (1946, inspiré des contes de l’Oural de Pavel Bajov) est ainsi une réussite récompensée d’un prix à Cannes et du Lion d’argent à Venise. Même s’il reste relativement confidentiel en Occident, les amateurs de cinéma fantastique célébreront des œuvres comme Le Tour du monde de Sadko (1953) ou encore Le Géant des steppes (1956), comptant parmi les plus belles réussites de Ptouchko. Le Conte du Tsar Saltan arrive donc en fin de carrière et témoigne de la maîtrise à la fois technique et poétique acquise par le réalisateur.

Le film est adapté d’Alexandre Pouchkine dont l’oeuvre s’inscrit dans un cycle de contes en vers écrits entre 1830 et 1834 parmi lesquels on trouve Le conte sur la Princesse dormante, Le conte sur le pêcheur et le poisson et donc Le conte du tsar Saltan. Ces contes innovaient au sein de la littérature russe en étant les premiers à aborder des sujets populaires à travers cette tonalité poétique, ce qui leur donnait une dimension à la fois sophistiquée et accessible. Il reste donc de cela dans l’adaptation filmée (la version la plus célèbre en Russie restant l’opéra de Rimsky-Korsakov) qui à travers le rythme de ses dialogues en quatre vers (totalement respectés dans les sous-titres du Blu-Ray Artus, ainsi que sur la VF) possède une sorte d’innocence surannée qui se marie pleinement aux images d’Alexander Ptouchko. L’histoire débute avec l’union du tsar Saltan (Vladimir Andreyev) avec une jeune femme (Larisa Golubkina), choisie parmi trois sœurs qu’il observait en cachette et dont il fut frappé par la beauté, la douceur et la nature humble de la cadette. Seulement, les deux autres sœurs, jalouses, ne l’entendent pas de cette oreille et vont au côté du perfide conseiller (Sergey Martinson) multiplier les manigances pour séparer le couple.

On reste dans l’archétype du conte dans la notion du bien et du mal, qui s’illustre par le jeu expressif des méchants tandis que le couple royal fait preuve d’une confondante candeur (ce jeu enfantin faisant office de nuit de noce). Cette douceur se traduit également dans le travail sur les décors et la couleur. Ptouchko donne dans une forme d’épure et de démarcation qui se fait géométrique à travers certains cadrages, ou qui en tout cas exprime une séparation par strates dans les somptueuses compositions de plan. La dimension féerique opère dans les lignes séparant les différentes échelles de paysages, où les éléments réels se marient à d’autres plus factices. Le procédé n’est d’ailleurs pas figé, un plan d’ensemble nous montrant en début de film la vraie construction du décor du château du tsar tandis que plus tard lorsque d’autres espaces s’ajouteront, le ciel et la terre formeront des lignes horizontales réelles alors que le château sera un matte-painting. C’est cette dynamique constante qui donne un côté à la fois rêvé et concret à l’univers du film, Ptouchko alternant brillamment espace chargé et couleurs outrées avec d’autres plus évanescents où dominent les teintes pastels dans des environnements abstraits.

Cette séparation travaille la notion de croyance au sein du récit. Le tsar Saltan a perdu malgré lui femme et enfant et vit dans la torpeur d’une cour qui le manipule. La tsarine et son fils Gvidon (Oleg Vidov), exilés, deviennent par leur bonté les protégés d’une Princesse Cygne (Kseniya Ryabinkina) qui leur façonne un monde à l’image de leur pureté d’âme. Les contours de ce monde magique sont plus incertains et surgissent par les grâces d’un effet visuel, d’une brume qui s’estompe et d’apparitions oniriques de la Princesse Cygne. La bonté de Gvidon l’a rendu digne de voir et de croire ces merveilles tandis que son père, par sa culpabilité, en est incapable, ne serait-ce que par la simple évocation verbale. Le film retrouve la notion répétitive des contes et travaille aussi par le montage et la narration cette notion de vers en chorégraphie de quatre pieds. Gvidon relance ainsi plusieurs fois son père par l’intermédiaire de marchands lui rapportant les prodiges qu’ils ont vus, que le tsar balaie d’un revers de la main en sollicitant d’autres miracles que Gvidon demandera à la Princesse Cygne.

L’émerveillement est constant à travers des idées de trucage multiples où se déploient tout le savoir-faire de Ptouchko. Les marionnettes nous offrent quelques merveilles avec cette écureuil musicien, les effets de fondus et rétroprojection sur les chevaliers surgis des eaux rappellent le travail de Ray Harryhausen, délesté de la volonté d’action de ce dernier mais uniquement celle de la sidération formelle. La naïveté et bienveillance constantes de l’ensemble ne sont jamais niaises et l’émotion fonctionne totalement lors de la superbe conclusion réconciliatrice. Un magnifique et inoubliable livre d’images.

Justin Kwedi.

Les Contes du Tsar Saltan d’Alexandre Ptouchko. URSS. 1967. Disponible chez Artus Film le 07/01/2020