Sélectionné en 2019 à Cannes, Séjour dans les monts Fuchun, de Gu Xiaogang, est le premier volet très accompli d’une probable trilogie, signé par un digne héritier d’Edward Yang et Hou Hsiao-hsien. Cette belle surprise de début 2020 est désormais disponible en VoD !
Il est toujours délicat de s’exprimer sur une œuvre naissante, surtout lorsque la réussite d’un premier film repose avant tout sur son apparente simplicité, sa parfaite absence d’effets de style identifiables. Devant Séjour dans les monts Fuchun, premier long du Chinois Gu Xiaogang, on se rend compte en quelques plans que l’on a affaire à un cinéma de plus en plus rare depuis la disparition d’Edward Yang et la semi retraite de Hou Hsiao-hsien. Cinéma de vacance, où il nous est proposé de suivre à travers de longues séquences s’enchaînant en toute fluidité les parcours parallèles d’individus appartenant à une même communauté. Ici, en l’occurrence, la même famille.
Le film s’ouvre sur la célébration des 70 ans de Mum, matriarche d’une famille nombreuse de Fuyang, petite ville du sud-est chinois. Victime d’un AVC en pleine fête, la vieille dame jusqu’ici si vaillante devient pour ses quatre fils et leurs foyers respectifs l’objet de longues discussions quant à sa prise en charge. Leurs situations professionnelles étant très inégales (l’aîné est patron d’un restaurant, son cadet pêcheur, les deux autres embarqués dans des histoires de dette ou d’amour n’inspirant pas l’apaisement), il faudra le film entier, d’une durée de 2h30, pour que se dessine calmement, à la faveur des quatre saisons, une moindre résolution.
Le parti pris du cinéaste est en effet d’accorder le déroulé de son infra fiction au rythme languide des jours et des nuits, la succession des saisons et conditions météorologiques ayant des répercussions sensibles sur le mode de vie des personnages. On ne pense pas exactement pareil, en hiver ou en été, selon que l’on habite une maison ou une péniche. C’est en ce sens que Gu Xiaogang, tout en s’apparentant aux maîtres taïwanais cités plus haut, parvient malgré tout à s’en distinguer sans mal. Il y a chez lui un souci plus affirmé d’accorder autant que possible ses scènes aux aléas de la nature.
Ce type de film, dont au moins les deux tiers sont situés en extérieur, a pour vocation d’assumer la transparence du tournage, la part documentaire de l’enregistrement des trajets au long cours. Un saisissant plan-séquence se distingue notamment, voyant un jeune homme nager en temps réel pour rejoindre sa potentielle fiancée, avec qui il vient de faire un drôle de pari. En comprenant l’intention technique de la scène, on se demande si le personnage, le plan et peut-être nous mêmes spectateurs, iront jusqu’au bout. Ce sera le cas. Hypnotique, ce moment qui pourrait ailleurs avoir l’air d’un coup de force, brille par sa sérénité.
Premier volet d’un projet de trilogie, ce magnifique film dont il est à peu près impossible de recenser toutes les subtilités vaut autant pour lui-même que l’espoir qu’il donne de retrouver dans d’autres histoires ses personnages attachants. Cette sortie le tout premier jour de cette nouvelle décennie augure symboliquement la naissance d’une œuvre prometteuse et sensible, qui devrait sans nul doute marquer ces déjà stimulantes années 2020.
Sidy Sakho.
Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang. Chine. 2019. Disponible sur les plateformes Orange, FilmoTV, CanalVOD