En 2011, Arrietty, le petit monde des chapardeurs débarquait sur nos écrans. Quelques années après, c’est Netflix qui s’en empare. Retour sur un film soigné mais auquel il manque la folie créative d’un Miyazaki ou d’un Takahata. Arrietty, le petit monde des chapardeurs est une œuvre à l’image de son héroïne : une petite chose dotée d’un solide caractère.
Lorsque le jeune Sho s’installe dans sa maison de campagne pour se reposer le temps d’un été et se préparer à une lourde opération qui risque de lui coûter la vie, il ne se doute pas encore que celle-ci est habitée par les chapardeurs. Ces petites créatures vivent cachées des humains depuis des siècles. Arrietty et sa famille occupent en effet la grande demeure et son magnifique jardin, volant discrètement aux humains ce dont ils ont modestement besoin pour survivre. Mais lors de sa première escapade, l’adolescente est aperçue par le jeune homme, mettant la survie de sa famille en danger. À moins que la fragilité maladive de Sho ne rime aussi avec une bonté et une compréhension dont les humains font pourtant généralement peu preuve envers les espèces différentes et proche de l’extinction…
À la création du studio Ghibli en 1985, Takahata et Miyazaki se partageaient plus ou moins équitablement les réalisations et signaient chacun un film à tour de rôle. Les années passant, les deux créateurs se voient de plus en plus enclin à passer le relais à la jeune génération. C’est la raison pour laquelle Miyazaki annonce sa retraite en 1997 avec Mononoke Hime, prêt à laisser les clefs du studio à Kondo Yoshifumi, qu’il voit alors comme son successeur. Le décès de ce dernier dans un accident de voiture pousse l’inventeur de Totoro à reprendre son poste de réalisateur, mais l’idée de transmission reste bien présente dans son esprit. Il confie ainsi en 2002 Le Royaume des chats à Morita Hiroyuki, en 2006 Les Contes de Terremer à son propre fils Goro et Arrietty au débutant Yonebayashi Hiromasa, né en 1973. Comme pour les deux précédents, l’impression est mitigée : on y sent trop le regard de Miyazaki (qui signe ici aussi le scénario) et l’application du cinéaste débutant dans un souci de s’inscrire dans une lignée au style très précis.
Mais cette combinaison empêche l’émergence d’un vrai regard et d’une personnalité forte. Le début surtout évoque Totoro, avec cette installation dans une maison de campagne, où la nature luxuriante cache des êtres fantastiques qui vont aider les personnages à traverser une épreuve, les confrontant à la mort. L’origine de l’anime (le film adapte un classique de la littérature enfantine de Mary Norton) fait encore écho à la fascination de Miyazaki pour la culture européenne, comme le caractère décidé d’Arrietty rappelle celui des héroïne du cinéaste, de Kiki à Chihiro. Et alors que le style graphique et le character-design simple et efficace, très représentatif de l’épure du studio, ne laisse aucun doute sur son origine, le “réalisme écologique” du dessin animé évoque encore le Takahata de Pompoko.
Soyons cependant honnêtes : Arrietty émerveille souvent, enthousiasme parfois, mais sent un peu trop le travail bien fait pour emporter pleinement l’adhésion. Rien à dire au niveau de l’animation, qui bénéficie du savoir-faire majestueux de Ghibli. Les décors sont notamment d’une beauté sidérante et utilisent parfaitement le jeu de distorsion d’échelle entre le grand et le petit dans un beau travail sur la perspective. L’attention hallucinante portée aux détails donne une impression de crédibilité totale au monde merveilleux décrit. Le scénario arrive à transcender son concept, qui aurait pu faire penser à un croisement entre Les Minipouces et Chérie, j’ai rétréci les gosses, pour le faire évoluer vers un récit sensible, parlant de la difficulté du passage à l’âge adulte, de la présence de la mort, tout en insérant un discours écologiste un brin attendu mais toujours intelligent. Le rythme du film, assez lent, laisse d’ailleurs une étrange impression de tristesse, de mélancolie et de pessimisme, qui arrive parfois à émouvoir.
L’ensemble manque cependant cruellement d’ampleur et de relief et le résultat, malgré toutes ces qualités, est trop sage pour réellement convaincre. Manque par exemple, à la vision de la nature de Yonebayashi le génie créatif et hallucinatoire de Miyazaki, qui excellait, même dans le mineur Ponyo, à jouer de manière jouissive avec des corps en mutations perpétuelles et surprenantes. On reste ainsi sur sa faim au niveau artistique comme au niveau du scénario. Le film ressemble en effet plus à une introduction d’une suite qui ne viendra jamais, qu’à une œuvre complétement achevée. On attend que les événements décollent, et on s’aperçoit avec stupeur que l’anime se termine alors qu’on n’a pas vraiment l’impression qu’il ait commencé. La faute à un final trop rapide, qui sent le travail presque bâclé, ce qui étonne face au sérieux habituel du studio et le soin généralement accordé à chaque aspect de ses productions.
Victor Lopez.
Arrietty, le petit monde des chapardeurs de Yonabayashi Hiromasa. Japon. 2010. Sur Netflix le 01/03/2020