Dans la catégorie Liberté, Egalité, Créativité, le FICA présente Pig, le dernier film du cinéaste iranien Mani Haghighi. Retour sur cette satire burlesque qui fait de l’outrance une arme de choix.
Cinéaste un peu trop provocateur, Hassan s’est vu momentanément interdire de tournage. Depuis, il tourne en rond, pris entre sa rancœur envers ses pairs et sa possessivité à l’égard de son actrice fétiche. Lorsqu’un serial killer prend pour cible des réalisateurs iraniens et entreprend de les décapiter un à un, Hassan en vient à penser que le fait qu’il soit épargné constitue la preuve ultime de son manque de reconnaissance…
Ce n’est pas la dentelle qui habille ce pied-de-nez au cinéma iranien, mais plutôt le mohawk rouge pétant. Punk, pop, irrévérencieux, le nouveau film de Mani Haghighi procède à une mise en abyme haute en couleurs et en malice.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Pig n’a pas peur des excès. On le comprend aussitôt que l’on rencontre Hassan, le héros aux allures d’ours grincheux, dont les t-shirts à l’effigie de groupes de hard rock plantent d’entrée le refus de la bienséance. Son goût manifeste pour l’agitation et la subversion, qu’il partage selon toute évidence avec Mani Haghighi lui-même, s’érige en contraste avec les airs poseurs et les envolées lyriques d’un rival verbeux tourné en dérision à grands renforts d’ironie. Nos deux réalisateurs (le réel et le fictif) ont choisi leur camp : ce sera celui de la spontanéité, de la créativité débridée et de l’impertinence. Pas question de se laisser enfermer dans un case, encore plus hors de question de se plier aux diktats du politiquement correct.
Cette provocation, pourtant, n’est pas entièrement gratuite. Certes, elle est l’opportunité d’une exubérance formelle qui vire volontiers à l’onirisme et quelquefois au mauvais goût (assumé), entre scènes de fêtes excentriques et de tournages fantasques. Cependant, au-delà du plaisir des yeux et des zygomatiques, elle adresse aussi une critique musclée à la censure (celle-là même qui a retiré à Hassan son autorisation de tournage). C’est qu’en dépit de sa redoutable fantaisie, Pig reste bien ancré dans la réalité du cinéma iranien contemporain : en effet, les réalisateurs dont l’on retrouve les têtes tranchées sont nommés d’après des cinéastes bien réels… jusqu’à Mani Haghighi lui-même ! Il n’est donc pas permis d’en douter : le film souhaite se placer dans l’ici et le maintenant.
Un ici et maintenant dans lequel Hassan se retrouve restreint et dénigré par une société qui a tôt fait de s’offusquer et de juger en faisant fi de la vie privée. La censure, en effet, est bien loin d’être la seule à être montrée du doigt : les réseaux sociaux érigés en tribunaux expéditifs, la police secrète aux méthodes peu recommandables, et même ce serial killer qui sans doute s’imagine rétablir l’ordre à sa façon… Chacun y va de sa sentence, entraînant le scénario dans une spirale de violence qui, malgré la légèreté du ton, ne manque pas de rendre l’ambiance proprement oppressante. Une anxiété à laquelle notre protagoniste n’est pas sans contribuer, puisqu’il faut lui reconnaître un talent certain pour les mauvaises décisions et les réactions excessives et irréfléchies.
Difficile, pourtant, de ne pas s’attacher aux sautes d’humeur d’Hassan et à son attitude d’éternel adolescent. Dans son refus du décorum, on est volontiers tenté de voir l’avatar de Mani Haghighi lui-même qui, avec ce film, ne craint pas de briser quelques convenances voire de froisser quelques ego. Naviguant sur une frontière parfois floue entre dérision et accusation – mais sans se départir d’une certaine tendresse – il semble n’épargner personne, et surtout pas le milieu du cinéma. On rit ainsi parfois jaune, mais surtout à pleines dents dans ce mélange audacieux de mise en abyme facétieuse et de considérations politiques pressantes – un cocktail qu’on retrouvait d’ailleurs dans Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi, bien qu’avec moins d’acidité.
C’est ainsi que la saveur de Pig naît de ce vif contraste entre une atmosphère paranoïaque n’ayant de cesse de s’assombrir et les situations rocambolesques qu’amène un héros toujours en décalage et en sur-jeu rafraîchissant. Ajoutons à cela des dialogues inspirés, un montage taquin et des personnages secondaires tout aussi délurés, et l’on tient la parfaite recette pour une comédie noire jouissive. Le rythme connaît quelques ralentissements en milieu de film, alors que l’intrigue explore de nouvelles directions, mais ne décroche jamais vraiment puisqu’il y a toujours une idée ingénieuse à se mettre sous la dent. L’œuvre sait en effet se montrer généreuse de bout en bout, mariant à la volée badinerie et réflexion, trivialité et poésie, insolence et émotion.
A travers ce portrait loufoque d’un artiste inadapté et suffoqué, Mani Haghighi dresse ainsi une satire aussi ludique que pertinente d’une société prise au piège de ses hypocrisies. Si on peut parfois craindre qu’il ne se laisse aller trop loin dans la surenchère, le tout respire tant la ferveur et la sincérité qu’il est difficile de ne pas se laisser entraîner à son tour dans cette course folle. D’autant que le cinéaste ne manque pas non plus d’autodérision…
Lila Gleizes.
Pig de Mani Haghighi. Iran. 2018. Projeté au FICA 2020