LE FILM DE LA SEMAINE – The Bride with White Hair de Ronny Yu (en salles le 25/12/2019)

Posté le 25 décembre 2019 par

Après une avant-première dans le cadre du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF), le chef d’œuvre de Ronny Yu, The Bride with White Hair, conquiert le public national en sortant en salles en ce jour de Noël !

Yi-hang, un jeune guerrier au service de la secte du Wu Tang, qui œuvre pour la chasse aux hérétiques, rencontre la Louve, une sorcière au service de Tsi, l’ennemi juré de la secte Wu Tang. Tous deux tombent amoureux, ce qui va entraîner des conséquences désastreuses dans leurs camps respectifs…


Cette relecture de Romeo et Juliette constitue probablement un des plus beaux films produits à Hong Kong dans les années 90 et qui doit sa grande réussite aux talents de ses instigateurs mais aussi une suite de hasards et contraintes qui en firent un objet unique en son genre. Le film s’inscrit dans la vague du renouveau du wu xia pian (film de sabre chinois) qui, tombé en désuétude dans les 80’s au profit du polar, retrouve les faveurs du public après le succès du chaotique mais grandiose Swordsman II produit (et en partie réalisé) par Tsui Hark. Le genre pullule donc sur les écrans et lorsque Ronny Yu, novice en la matière (tous ses précédents films se déroulent dans un cadre contemporain), décide de s’y frotter, le maître mot est de contourner tous les clichés s’y rapprochant.

Ce qui aura motivé le réalisateur à se lancer, c’est la magnifique histoire de ce Bride with White Hair issue d’un roman de Liang Yusheng et dont il pense donner une illustration marquante après les deux adaptations ayant déjà été réalisées. Solide metteur en scène mais sans génie jusqu’ici (ni même après), Ronny Yu déploie là une magnificence visuelle alors totalement à contre-courant d’un cinéma hongkongais dont le côté bricolé constitue un des grands charmes. Les costumes sont donc dessinés par Emi Wada (célèbre pour son travail chez Kurosawa Akira, notamment le magnifique Ran), la photographie gérée par Peter Pau (futur oscarisé pour Tigre et Dragon) et le couple vedette sera incarné par les deux acteurs les plus glamour de Hong Kong, Leslie Cheung et Brigitte Lin (Lin Ching-hsia). Dès la magnifique introduction sur les personnages enfants, leur lien indéfectible mais aussi le poids de leur entourage se dessine. Yi-hang (Leslie Cheung) est un jeune orphelin, durement entraîné aux arts martiaux dans le but de devenir le futur maître de la secte Wu Tang. Cependant sa nature légère et espiègle le place bien loin de ses préoccupations et c’est après s’être perdu en forêt pour échapper à son labeur qu’il est sauvé des loups par une fillette tout de blanc vêtue qu’il n’oubliera jamais. Quelques années plus tard, il découvrira qu’elle s’avère être La Louve, exécutrice sanguinaire des Tsi, ennemis jurés de son camp. Le film dessine un pur univers de fantasy et de légendes où chacun des deux mondes qui s’oppose s’avère aussi néfaste l’un que l’autre. Les Wu Tang sont rongés par les intrigues de palais pour le pouvoir, et déploient une violence et une haine sans discernement pour le moindre ennemi. Yu y fustige là un certain rigorisme clanique voire religieux qui ne laisse pas la place au doute et à la nuance, ce que ne peut supporter le personnage rebelle de Leslie Cheung. Les éclairages se font alors sobres, l’ambiance solennelle et feutrée, tout le contraire de l’ennemi Tsi. Là on donne dans la luxure et la dépravation, les éclairages se font rougeoyants et baroques dans un décor extravagant d’outrance. Tout cet excès est symbolisé par les grands méchants du film, des frères et sœurs siamois décadents et schizophrènes.

L’histoire rapproche donc deux figures destinées à être le bras armé de leur camp mais qui n’en ont cure une fois qu’ils se retrouvent. Leslie Cheung (une nouvelle fois magnifique de charisme) n’est guère intéressé par le pouvoir et La Louve découvre un bonheur insoupçonné dans les bras de cet homme qui l’aime pour elle et pas pour l’usage qu’il pourrait faire d’elle. Le plus beau symbole de ces sentiments est la scène où il lui donne un nom alors qu’elle n’était jusque-là identifiée que sous son aura guerrière. Chose rare dans un film tout public hongkongais, le film ose des scènes d’amour aux élans lascifs et passionnés (il faudra le Green Snake de Tsui Hark pour retrouver pareil fougue) longuement filmés par la caméra amoureuse de Ronny Yu. Comme déjà dit, les contraintes de tournage apportèrent des atouts inespérés au film. La production est contrainte de construire un studio pour satisfaire les exigences de Yu mais le tournage en pleine canicule de juillet oblige à tourner essentiellement de nuit pour ne pas épuiser les acteurs en lourds costumes d’époque. Du coup, les séquences de jour acquièrent une aura étrange et irréelle tandis les moments nocturnes déploient une majesté féérique d’autant plus saisissante. Les séquences de combat donnent également dans le jamais vu puisque Yu, soucieux d’uniquement utiliser ses acteurs durant les affrontements, compense leur carences martiales en jouant avec les vitesses de filmage ralenties sur le tournage puis accélérées en post production (le montage de David Wu est prodigieux) pour un résultat bluffant de poésie et d’inventivité (il faut imaginer les jeux sur la vitesse de l’image d’un Wong Kar-wai mais dans le cadre du cinéma d’art martiaux) où le décor souple permet les mouvements de caméra les plus fous. L’affrontement extraordinaire avec les siamois en conclusion est ainsi sacrément virtuose.

Les séquences d’anthologie pullulent notamment dans la dernière partie. Le sacrifice de Brigitte Lin (qui,  malgré la facette guerrière, délaisse son aspect androgyne pour un de ses plus beaux personnages tragiques), qui traverse de terrible épreuves pour échapper à son camp s’oppose donc à la terrible lâcheté momentanée de Leslie Cheung qui va provoquer le drame. La Louve ayant tout abandonné pour l’homme qu’elle aime ainsi trahi manifeste sa détresse par cette chevelure brusquement blanchie par la douleur. Yi-hang ainsi damné pour avoir douté de sa belle devra surmonter la solitude de toute une vie et courir après une légende hypothétique pour espérer la voir revenir. Tragique et flamboyante conclusion pour ce grand film qui distille une incroyable gamme d’émotions et de personnages complexes en 1h25 à peine.

Justin Kwedi.

The Bride with White Hair de Ronny Yu. Hong-Kong. 1993. En salles le 25/12/2019