Invitée remarquée de la section portrait lors de l’édition 2016 du Festival du Film Coréen à Paris, Yoon ga-eun s’est bâtie une solide réputation chez les cinéphiles pour son premier long, The World of Us. La réalisatrice était de retour pour cette édition 2019, avec son deuxième film projeté lors de la cérémonie de clôture : The House of Us.
Une petite fille vit dans un climat domestique délétère. Ses parents se disputent fort sans arrêt et son frère en rajoute une couche. Elle rencontre au supermarché deux sœurs plus jeunes qu’elle, dont les parents sont souvent absents et les délaissent à elles-mêmes. Les trois fillettes vont se lier d’amitié au point de devenir presque une petite famille, indépendante et s’imaginer un foyer commun…
Nous parlions en préambule de The World of Us, un film bouleversant sur l’amitié et la mise à l’écart durant l’enfance, qui a marqué plus d’un spectateur l’ayant vu, au point de faire naître une certaine attente vis-à-vis de la réalisatrice quant à son prochain travail. Nous avions appris cet été 2019 la sortie imminente de son second film et son sujet, une nouvelle fois, le quotidien de petites filles. Cette thématique travaille Yoon Ga-eun depuis ses courts-métrages et l’émotion qu’elle est parvenue à insérer dans The World of Us nous rend heureux de la voir continuer dans cette voie, d’autant plus que la cinéaste semble à l’aise pour diriger des enfants, alors que ce n’est pas une sinécure pour tous les réalisateurs (demandez au grand Kurosawa Akira : il n’y est jamais parvenu).
Nous sommes donc en face d’un film qui déroule la pensée de Yoon Ga-eun sur l’enfance, mais qui se révèle finalement assez différent de sa précédente œuvre. The World of Us était un concentré d’émotions, où la construction des personnages servait des scènes-clés, des dialogues qui crèvent le cœur. The World of Us se termine sur une situation hésitante, qui renvoie à la véritable enfance de la réalisatrice et une histoire d’amitié qui l’a amenée à des regrets. The House of Us est différent dans la mesure où l’amitié des jeunes filles est très solide, que le film est bâti autour de cette colonne vertébrale et que les éléments de dangers qui gravitent autour d’elles sont supplantés par quelque chose de plus fort et positif. Pourtant, les fillettes, presque abandonnées par les adultes il faut le dire, prennent des décisions folles, comme partir en périple pour rejoindre un parent. On pourrait s’attendre à éprouver de l’inquiétude. Mais cette amitié nous fait ressentir, à la place, de la chaleur humaine, qui parvient, y compris dans les éléments dramaturgiques, à nous faire davantage contempler l’acting des jeunes actrices, bourrées de vie, que de s’émouvoir de leur situation assez triste. Avec ce deuxième film, Yoon Ga-eun arrive déjà à user de thèmes récurrents et les décliner sous des formes diverses. Certains passages de The House of Us font largement sourire !
Le cas des adultes porte cependant tout de même à réflexion. S’ils étaient présents en toile de fond dans The World of Us (et finalement peu concernés par les disputes entre enfants), leur absence se fait ressentir dans The House of Us, car Yoon Ga-eun filme à vue d’enfant. Lorsque les trois fillettes se retrouvent fréquemment dans la maison des deux sœurs, avec des parents absents depuis des jours, on ne peut qu’éprouver un sentiment de malaise surnageant le caractère adorable des personnages. Le sujet est traité à un niveau contextuel, et aucun mot n’est dit pour cibler des coupables ou porter à charge un problème de société. Le cinéma de Yoon Ga-eun relève plutôt des sensations du quotidien, telles que des enfants peuvent les ressentir et non pas les énoncer avec des mots d’adultes.
Ajoutons que le film renvoie aussi au dernier court-métrage de la réalisatrice, Sprout, lui aussi beaucoup apprécié. On y suivait une petite fille chargée d’aller récupérer quelque chose dehors et qui finit par prendre le large dans toute la ville et rencontrer divers personnages. Lorsque les héroïnes de The House of Us prennent le bus pour retrouver un parent, on peut y voir un écho à Sprout, là où le court Taste of Salivia était un premier jet de The World of Us. Prochaine étape, l’adolescente qui s’invite dans la deuxième famille de son père de Guest en long-métrage ?
The House of Us est un film complet, mûr à bien des égards. Yoon Ga-eun est véritablement douée pour diriger des enfants et parvient à tirer le meilleur de leur vitalité. Nous voyons évoluer, sans doute, une des meilleures cinéastes coréennes de cette époque.
Maxime Bauer.
The House of Us de Yoon Ga-eun. 2019. Corée du Sud. Projeté lors de la 14ème édition du Festival du Film Coréen à Paris.