La fin du festival approche. Pour cette dernière journée avant bilan, nous avons pu assister à la projection de Wonderland, le royaume sans pluie, le nouveau film réalisé par Hara Keiichi, qui sortira en France le 24 juillet grâce à Art House. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec le réalisateur ainsi qu’avec son chara-designer, Ilya Kushinov !
Troisième long-métrage japonais en compétition cette année à Annecy, aux côtés de The Relative Worlds et Ride Your Wave, Wonderland, le royaume sans pluie était forcément très attendu. En effet, Hara Keiichi nous avait laissés en 2015 avec l’étonnant Miss Hokusai. Il était donc temps pour nous de découvrir de quoi était fait ce nouveau film.
Adapté d’un roman japonais pour enfants des années 1980 de Kashiwaba Sachiko, Wonderland suit la jeune Akane, timide et peu sûre d’elle. La veille de son anniversaire, elle se rend dans la boutique d’antiquités de sa tante pour y choisir un cadeau. Surgit soudain un homme très mystérieux : Hippocrate l’alchimiste. Il vient d’un autre monde, un monde menacé par une très grande sécheresse. Il pense qu’Akane est la déesse verte et qu’elle seule peut l’aider à sauver son pays.
Dans Wonderland, on ne sait plus où donner de la tête. Ce film, mi-fable, mi-aventure, pioche ses influences un peu partout, à commencer, comme son nom l’indique, par Alice au pays de merveilles. Puis, on aperçoit rapidement des affiches de film parodiées comme Hellboy. Le sens de ce gloubli-boulga ? On ne sait toujours pas, pour tout avouer… Le film débute par une scène où Akane, à la fenêtre, geint parce qu’il fait beau (ah oui, encore un point météo) et que ça la déprime. Le ton est donc donné : la protagoniste, de 12-13 ans, est déjà un être blasé par la vie. Il faudra une séquence dans la boutique d’antiquités de sa tante qui, elle, est quasiment hystérique, pour en découvrir davantage sur notre héroïne, intriguée par tous les objets bizarres exposés. Sa tante, qui ne cesse de parler et de sauter partout, se comporte comme une adolescente alors qu’elle s’apprête à se rendre à la brocante de l’Isle-sur-la-Sorgue (le bon bail de la brocante européenne). Et là, débarque du sous-sol l’alchimiste Hippocrate. A partir de ce moment, le voyage fantastique commence. Si Hara Keiichi se plante complètement dans la narration et fait de son Wonderland un film indigeste, où se mélangent des thèmes aussi divers que gros moutons, chats douaniers, et mamie devant absolument tricoter un pull (pourquoi ? Nul ne le sait), et oublie de développer ses personnages en cours de route, il ne laisse pourtant pas de côté l’aspect visuel. Malgré toute la déception provoquée par le film, il est difficile de le rejeter en bloc tant les paysages sont sublimes. S’inspirant à la fois des montagnes européennes comme la chaîne des Alpes et des montagnes multicolores de Danxia en Chine, Hara gère Wonderland comme une belle peinture que notre rétine n’est pas prête d’oublier. Le film se déroulant principalement en ville, cet élément est aussi particulièrement travaillé. Ici, point de villes à l’architecture asiatique, mais plutôt des habitations occidentales. Pour cela, il s’est aidé de son chara-designer russe Ilya Kushinov, qui a auparavant suivi des études d’architecture. A la fin du film, on croirait se retrouver dans la belle ville italienne de Sienne.
Malheureusement, toutes ces réussites visuelles ne parviennent pas à faire décoller Wonderland. Le rythme, plutôt bien tenu pendant 1h50, non plus. Car, en effet, pour faire tenir son spectateur en haleine, il faut une intrigue et une narration qui tiennent la route. Dans Wonderland, Hara Keiichi prend parfois les spectateurs pour de gentils imbéciles, en pensant que mettre en scène 2 ou 3 chats mignons suffit à leur bonheur de cinéphile. Quand on voit la subtilité de Miss Hokusai et la lourdeur de Wonderland, on se demande ce qui a bien pu se passer.
Pour le savoir, nous nous sommes entretenus avec le réalisateur ainsi que son chara-designer. Malheureusement, nous n’avons pas obtenu réponse à toutes nos questions ! Pour information, il a été annoncé, à Annecy, qu’Ilya Kushinov travaillera sur le chara-design de la série Ghost in the Shell SAC_2045 qui sera diffusée sur Netflix.
Wonderland est une adaptation d’un roman jeunesse de Kashiwaba Sachiko. Comment avez-vous découvert ce roman et pourquoi avoir décidé de l’adapter ?
Hara Keiichi : Ma rencontre avec ce livre est un peu particulière car c’est une commande. La production est venue pour me demander d’adapter ce livre. Sauf que, quand j’ai fini de lire le roman, j’ai dit qu’il n’y avait absolument rien d’intéressant. La producteur m’a alors laissé la totale liberté pour arranger le scénario. Au final, il n’y a quasiment rien du livre dans ce film.
Du coup, quels sont les éléments les plus importants que vous avez ajoutés ? Vous avez en effet donné des clés de compréhension du film lors de la projection officielle, hier…
Le gros du travail a été de faire un film marrant et intéressant alors que le livre ne l’est pas.
Vous avez travaillé pour la première fois avec Ilya Kushinov. Comment s’est passé votre rencontre ?
C’est un hasard. Je cherchais un nouveau chara-designer. Je suis allé dans une librairie pour voir des livres d’art-book, chose que je ne fais jamais. Et je suis tombé sur un livre d’Ilya Kushinov. Quand j’ai vu ce travail, ces illustrations, je me suis dit que c’était parfait pour mon film. Et c’est comme ça que j’ai demandé à rencontrer Ilya. Je pense que c’est le destin qui nous a réunis.
Avez-vous donné des consignes pour le chara-design ?
Quand j’ai vu le livre d’Ilya, je me suis dit qu’il avait beaucoup de talent et je n’avais aucune inquiétude par rapport à notre collaboration. Elle s’est très bien passée. Au début, Ilya ne parlait quasiment pas japonais et pourtant, il n’y avait aucun stress ; la connexion entre nous deux se faisait naturellement. Au fur et à mesure du temps passé ensemble, Ilya a appris le japonais et la communication est devenue beaucoup plus facile.
Ilya, comment avez-vous vécu cette collaboration ?
Ilya Kushinov : C’était très agréable de travailler avec Hara Keiichi car il explique très clairement les choses. Il venait parfois avec des images en montrant l’ambiance qu’il voulait. Il n’y avait aucun problème de communication. Je lui ai demandé de tout m’apprendre, que ce soit le métier de réalisateur ou les spécificités de l’animation. Travailler ensemble nous a donnés beaucoup de moments de plaisir.
Dans Wonderland, les paysages et les villes sont sublimes et on sent, dans leur représentation, une influence asiatique mais aussi occidentale. Comment avez-vous travaillé ce point ?
Hara Keiichi : Ilya est Russe et en discutant, on s’est dit qu’on avait envie de retrouver des paysages d’Europe de l’Est. Il est non seulement illustrateur mais a aussi fait des études d’architecture. C’est une grande force pour pouvoir illustrer les villes. Par exemple, pour ce village (Hara Keiichi montre une image de l’art-book dédié au film), il voulait mettre en avant les triangles dans l’architecture. Du coup, il a fait une architecture où on ne voit que des triangles. Ce sont des détails qui sont intéressants.
On est assez étonné par le comportement de la jeune héroïne qui est tout sauf bout-en-train. Elle est accompagnée d’une adulte qui, elle, est avide d’aventure. Pourquoi ce choix ?
Je voulais une héroïne qui évolue pendant le film. Une des techniques qu’on peut utiliser est de montrer un personnage secondaire plus fort. On se demande d’ailleurs au début si ce n’est pas la tante qui est le personnage principal. Au final, Akane change suffisamment pour qu’elle n’ait plus besoin de sa tante et pour agir seule, avec sa propre détermination. Je ne suis pas intéressé par les films qui mettent en scène des héroïnes déjà fortes dès le début. J’ai été beaucoup influencé par le mangaka Fujiko F. Fujio (N.D.R. : créateur de la série animée Malicieuse Kiki et cocréateur du manga Doraemon) qui met en scène des héros normaux, voire même un peu faibles et lâches. Mais à un moment, ils trouvent le courage d’agir et deviennent braves. Je trouve cela plus intéressant.
A Annecy, on voit beaucoup de films japonais qui traitent de la thématique de l’eau cette année, souvent avec un message écologique. Au-delà du film d’aventure qu’est Wonderland, est-il également une fable écologique ? Si oui, quel message souhaitiez-vous faire passer ?
Je pense que cette thématique présente à Annecy est un pur hasard. Mais peut-être que c’est parce qu’animer de l’eau était une chose vraiment difficile, avant. Techniquement, aujourd’hui, c’est possible. Ça a peut-être joué… Concernant le message écologique, il est bien sûr présent. Mais je ne voulais pas que ce thème soit trop imposant. J’avais envie que Wonderland reste un film de divertissement. Après, ça me fait plaisir que les spectateurs puissent réfléchir à ces thématiques après avoir vu le film. Dans Wonderland, il y a une opposition entre un monde blindé de technologies et l’autre monde, vide de tout cela. Les deux personnages laissent leur téléphone portable et entrent dans un univers où il n’y a pas d’électricité et où la nature prime sur le reste. Je trouvais ce contraste intéressant. Au Japon – je ne sais pas si c’est la même chose en France -, tout le monde a un smartphone collé à l’oreille, tout le temps. Quand on demande aux gens de lâcher un peu leur téléphone, ils répondent qu’ils ne peuvent pas vivre sans cela. Je voulais aussi montrer qu’on peut poser son téléphone et vivre des choses.
Quels sont vos prochains projets ?
Le prochain projet, on le fera ensemble. Le film s’adressera davantage aux adultes et mettra en scène des adolescents. Jusqu’ici, je n’avais jamais trouvé de padawan dans les talents japonais. Ilya, je le vois comme mon padawan. Notre rencontre est vraiment un fait du destin. J’espère juste qu’il ne deviendra pas Dark Vador (rires).
Propos recueillis par Elvire Rémand à Annecy le 14/06/2019.
Traduction : Asako Furukata.
Remerciements : Emmanuelle Verniquet, Charlotte Demougin et Art House.