Entretien avec Jero Yun, réalisateur de Beautiful Days (BIFF 2018)

Posté le 3 novembre 2018 par

C’est au 23è Festival de Busan (Busan International Film Festival ou BIFF 2018) que nous retrouvons Jero Yun, réalisateur remarqué du documentaire Madame B., histoire d’une Nord-Coréenne, qui connaissait avec son nouveau film Beautiful Days une exposition et d’une couverture médiatiques sans précédents en Corée du Sud. Interview. 

Tout d’abord quelles impressions aviez-vous ressenti suite à l’annonce de sélection de votre première fiction en film d’ouverture d’un des plus prestigieux festivals au monde ? Puis, lors de votre présentation du film le soir-même avec défilé d’une partie de l’équipe sur le tapis rouge ?
J’ai été très honoré que mon premier long-métrage de fiction ait été présenté à la soirée d’ouverture du festival. Surtout dans ma ville natale, revenir avec mon premier long-métrage, ce fut une expérience inoubliable !
Pouvez-vous nous raconter comment s’est déroulée l’approche de cette fiction : de sa genèse jusqu’à son aboutissement ?
J’ai conçu ce film après avoir réalisé mon court-métrage Promesse (2011). Puis, l’histoire commença tout doucement en faisant d’autres films documentaires comme Looking for North Koreans (2013), Madame B (2016). L’écriture du film a abouti lorsque je fus à la résidence de Cannes en 2012 (Cinéfondation) : j’ai pu écrire en parallèle un projet sélectionné officiellement Secret de mon père traitant des mêmes thèmes : famille, séparation, réconciliation.

Madame B.

J’ai donc passé 5 ans à l’écriture. Puis, le chemin ne fut pas simple jusqu’à la réalisation-même car je n’avais trouvé aucune aide durant des années. Ce fut seulement en 2017 que le projet put ressortir du tiroir, après avoir rencontré le producteur coréen, Kim Hyun-woo ayant produit J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon (2010). Avec lui, le projet a commencé à prendre forme. Mais ce fut encore un long chemin jusqu’à ce que l’on trouve le financement. Comme mon court-métrage Hitchhiker fut tourné en 2 jours avec 3 500 dollars de budget, Beautiful Days a été tourné en 15 jours, avec un budget relativement maigre par rapport un film français : 300 000 dollars.
Je n’eus pas le choix de toutes façons. Il a fallu que je fasse ce film avec ce budget. Je m’étais donc vite adapté à ces conditions, en tournant très peu de plans, mais tout fut important dans le film, il n’y eut alors rien à jeter. L’équipe coréenne fut sublime. Nous avions préparé rigoureusement le tournage car il ne fallait pas qu’on gaspille de temps et qu’on se trompe. Avec ce budget, je n’eus ainsi aucun droit à l’erreur sur quoi que ce soit. J’avais bien expliqué aux acteurs les conditions de tournage : on devait tourner très rapidement. Ils ont été formidables et bien concentrés sur le film. Comme moi, l’équipe, les acteurs, personne ne devait faire d’erreurs. Si une seule erreur s’était produite, nous n’aurions pu faire ce film. La pression fut énorme pour nous tous. Mais nous avions réussi ce défi que beaucoup de gens me disaient impossible à relever.
Après le tournage, nous avons fait la post-production chez Zorba. Guillaume de la Boulaye, le producteur de Madame B s’en chargea. L’équipe fut également formidable avec Yov Moor pour l’étalonnage, Mathieu Regnault pour la musique, Jules Wisocki pour le sound design et le montage son, puis Francois Loubeyre pour le mixage !
Ce qui est frappant en connaissant dorénavant votre travail, ce sont des images marquantes qu’on retrouve entre le documentaire Madame B. et Beautiful Days : il y a une prégnance de ce que vous avez vécu pendant ces dernières années à l’écran, on y retrouve des cadres, des scènes, des postures, des détails dans les vêtements similaires entre le documentaire et la fiction, pour vous il était primordial de nourrir de véridique, de véracité Beautiful Days ?
Je voulais le réalisme sur le film à travers l’image cinématographique. La chef décoratrice fut formidable sur ce coup. Comme nous avions très peu de moyens, nous étions obligés de tourner tout en Corée avec des décors chinois. Pour cela, il a fallu que la chef décoratrice et son équipe aillent en Chine, ils ont fouillé des poubelles pour trouver des petites choses qu’on ne pouvait trouver seulement qu’en Chine. Comme je ne voulais rater aucun détail dans ce film, la chef décoratrice et moi, nous avions travaillé sur tous ces détails dans ce film, en référence à Madame B. bien sûr. Ce fut un travail ultra sophistiqué pour recréer tous ces détails.
Dans Beautiful Days, on a cette impression que vous offrez au personnage de la mère de Zhen Chen la possibilité de combler les ellipses du parcours de vie et des témoignages de Madame B. lors de l’écriture du scénario, était-ce un des éléments que vous souhaitiez mettre en avant en fiction : recomposer tout l’itinéraire d’une femme, face à des contraintes et son libre-arbitre limité, tentant pourtant de mener une vie décente ?
Ça peut ressembler à l’histoire de Madame B., mais c’est une autre histoire de femme nord-coréenne. Comme beaucoup, des femmes nord-coréennes ont des histoires ressemblantes ou ont eu des expériences similaires, le film peut vous donner cette sensation. J’avais envie de montrer une femme essayant de vivre avec son passé douloureux, sans changer son for intérieur, et ce, bien qu’elle change d’apparence. Elle vit avec. Rien de plus, rien de moins.
Dans ce film, je propose le point de vue de Zhen chen qui va devoir choisir entre « vivre en l’oubliant » ou « vivre en l’acceptant ». Selon son choix, son avenir sera différent. Zhen chen représente aussi la génération d’aujourd’hui ayant hérité de la situation de la péninsule en tant que devoir.
Votre mise en scène permet au spectateur et au jeune Zhen Chen d’appréhender 20 ans de vie de sa mère par le propre point de vue du jeune dans son présent, mais également en passant notamment de 1997 à 2017 par des flash-backs avec le point de vue de la mère. Par le biais de cet entrelacs de regards, était-ce une façon de recomposer la mémoire des exilés et des transfuges déracinés, devant abandonner une vie passée, sans cesse à reconstruire sur de nouveaux territoires ?
Je préférais que ce soit comme dans son journal intime, que le spectateur pourrait consulter. Ce qui m’était plus important dans ce film était de montrer comment Zhen chen résout ou se débrouille avec la question laissée par sa mère et son père. Cette question de la « famille » avec cette définition est fondamentale et je propose aux spectateurs d’y réfléchir comme le film suggère à la fin ou comme le titre du film : Est-ce que de beaux jours arriveront-ils un jour ? Tout en gardant un petit espoir comme Zhen chen finit par manger la soupe de sa mère qu’il détestait.

Jero Yun

Comment s’était passé le casting du jeune Jang Dong-yoon pour incarner Zhen Chen, et surtout celui de Lee Na-young, la mère, qui doit par son visage, ses expressions, sa gestuelle faire passer 25 ans de vie à l’écran ? Comment les aviez vous dirigé ?
Avec le producteur Kim, nous avions fait le casting soigneusement. Il a fallu beaucoup de temps pour réussir le casting de la mère. Lorsque Lee Na-young a accepté ce rôle, j’étais très ravi. Puis, le jeune Jang Dong-yoon vint juste après. Les acteurs n’avaient pas beaucoup de temps pour jouer du fait des moyens limités. J’ai longuement discuté avec eux pendant la préparation en demandant une concentration rigoureuse sur chaque plan à tourner. J’avais le droit entre 2 à 4 prises maximum en moyenne pour chaque plan. Cela a demandé beaucoup de confiance les uns envers les autres.
Beautiful Days est aussi fort pour son aspect technique, on est embarqué dès la scène d’ouverture par l’atmosphère électrisante d’un club de nuit, ses néons, ses couleurs saturées, tout un soin a été particulièrement apporté à l’étalonnage pour composer les différentes ambiances nocturnes liées à la mère, en contraste avec les moments de vie de Zhen Chen, en classe le jour. Nous avions croisé Yov Moor nous précisant qu’il avait 6 de ses films au BIFF cette année, que vous a-il-apporté de sa riche expérience d’étalonneur sur ce long-métrage ?
J’ai eu de la chance d’avoir travaillé avec Yov. Tout d’abord, il est généreux, humain. J’ai pris beaucoup de plaisir durant notre collaboration. Non seulement il est très fort à l’étalonnage, mais il avait la fierté de mettre son expérience au service du film. Ce fut très appréciable et agréable. Il a bien assuré sur le film !
Vous collaborez régulièrement aussi avec Mathieu Regnault pour la musique de vos films, était-ce plus qu’une amitié que vous souhaitiez renouvelée dans votre travail, une envie d’obtenir également une cohérence sonore dans toute votre oeuvre cinématographique ?
J’avais envie de collaborer avec les gens avec qui j’ai l’habitude de travailler. Non seulement Mathieu est très fort dans sa musique ayant une belle sensibilité, mais je suis aussi à l’aise avec lui. Il me comprend vite. Cela fait plus de 10 ans que l’on travaille ensemble. Pour ce premier long-métrage de fiction, j’avais envie de continuer avec Mathieu.
Comment cela s’est passé de nouveau d’ailleurs avec les productions, le modèle de coproduction entre la France et la Corée pour Beautiful Days ?
C’est toujours difficile la coproduction internationale car cela demande beaucoup de confiance les uns envers les autres. Quand on ne se connait pas assez, c’est encore plus difficile. En revanche, je connais les deux cultures, je suis alors capable de penser à la française comme à la coréenne, j’ai beaucoup travaillé en tant qu’intermédiaire reliant la France et la Corée. La coproduction franco-coréenne s’est bien passée. Nous avons bien surmonté nos difficultés à la vue de nos moyens financiers limités.
Quels sont vos futurs projets ?
Avec Guillaume de Zorba production, je vais essayer de finir le projet que j’ai commencé en 2012 à la Cinéfondation, Secret de mon père. Il est temps que cela se réalise !
Propos recueillis à Busan, 23è BIFF en Octobre 2018.
Beautiful Days de jero Yun. Corée. 2018.