Le Film de la semaine -The Long Excuse de Nishikawa Miwa : The long interview

Posté le 25 novembre 2017 par

La plus belle des découvertes de la 12ème édition du Festival du Cinéma japonais contemporain Kinotayo arrive dans les salles françaises le 29 novembre. Rencontre avec Nishikawa Miwa, réalisatrice du bouleversant The Long Excuse.

Avec son tragique accident de bus qui emporte la femme de son protagoniste principal, The Long Excuse commence presque comme du Russell Banks (De beaux lendemains). Mais cette introduction dramatique est presqu’un faux semblant qui cache la profonde sensibilité d’un film qui va s’attacher à montrer, entre légèreté et profondeur, comment  retrouver le goût de la vie auprès des vivants plutôt que de s’apitoyer sur le sort de ceux qui sont partis. Au contact des enfants d’un père lui aussi endeuillé, Sachio, écrivain narcissique en panne d’inspiration interprété par Motoki Masahiro (Departures), va retrouver peu à peu l’humanité qui lui échappait avant le drame. Par sa simplicité, The Long Excuse arrive à être un film lumineux sur le deuil et une œuvre sur la perte qui ré-enchante la vie. Nous avions envie de demander à sa réalisatrice comment elle avait réussi à produire ce petit miracle.

The Long Excuse est votre 5ème film, mais le premier à sortir en France. Pouvez-vous présenter votre carrière aux spectateurs français qui vont découvrir votre cinéma avec ce film ?

Lorsque j’avais 23 ans, alors que j’étais encore étudiante, j’ai commencé à travailler comme assistante-réalisatrice sur After Life de Kore-eda Hirokazu. J’ai ensuite travaillé avec Suwa Nobuhiro et Yoshimitsu Morita. J’ai travaillé sur ce poste d’assistante réalisatrice pendant 4 ans avant de débuter comme réalisatrice à 28 ans avec Wild Berries. Cela fait environ 15 ans que je réalise des films : j’ai fait 5 longs-métrages et quelques courts-métrages. Comme Kore-eda, je réalise beaucoup de mes films d’après des scénarios originaux.

The Long Excuse est d’ailleurs adapté de votre propre roman. Quel est le point de départ de l’œuvre ?

L’origine est la catastrophe de Fukushima de mars 2011. L’idée m’est venue à la fin de cette année. Je n’avais pas été personnellement touchée par la catastrophe : je n’ai pas vécu le tsunami et je ne voulais pas faire un film directement là-dessus. Par contre, je me suis dit que l’on pouvait perdre un proche de manière brusque, comme c’est arrivé pendant la catastrophe, et je voulais m’intéresser au processus de reconstruction de ceux qui restent, et à la manière dont ils doivent créer d’autres rapports entre eux. Ce qui m’intéressait, c’était la vie après le drame.

Comment est venu l’idée de partir d’un accident de car comme élément déclencheur de l’intrigue ?

Je voulais que l’histoire s’éloigne de la catastrophe, afin de lui donner un aspect plus universel, qu’elle puisse se passer n’importe où dans le monde. J’avais peur que les gens ne se sentent pas concernés si je traitais directement de la catastrophe.

Vous avez déjà fait des novélisations de certains de vos films, mais avez cette fois d’abord écrit le roman avant de faire le film. Etait-ce pour des raisons esthétiques, narratives ou tout simplement économiques ?

C’est pour des raisons à la fois esthétiques et économiques. Je sais à peu près quel budget je peux obtenir pour mes films. Mais lors de l’écriture d’un scénario, je dois abandonner des idées car je sais que je ne vais pas avoir assez de budget pour les tourner. Ça provoque de la frustration, des regrets et du stress lors de l’écriture. Je me suis dit que cette fois-ci, j’allais écrire tout ce que je voulais et ensuite choisir les séquences à retenir pour le film. J’ai donc tout mis dans le roman, avant de faire une sélection lors du scénario.

Aviez-vous, en écrivant le roman, déjà en tête les acteurs du film ?

Il y a une grande liberté dans l’écriture d’un roman et beaucoup moins de limites que pour l’écriture d’un film. Je voulais que mon imagination soit libre lors de l’écriture du roman, je n’ai donc pas pensé à des acteurs. Après l’écriture du roman, j’ai fait un traitement pour le film, et on a établi un plan de financement avant d’entamer l’écriture du scénario. C’est lors de la préparation de ce traitement que j’ai commencé à caster les acteurs.

Comment avez-vous trouvé les deux enfants, qui sont incroyables dans le film ?

Je voulais vraiment garder le côté « enfantin » des enfants, donc je ne cherchais pas des acteurs, mais des enfants qui n’avaient pas d’expérience de jeu. Et je voulais surtout des enfants qui ressemblaient aux personnages, au niveau de leur personnalité. Nous avons rencontré environ 150 enfants pour chaque personnage. Ça a été très compliqué de rencontrer des enfants d’environ 3 ans en tête à tête ! (rires)

La petite fille regarde à plusieurs reprises un dessin animé à la télévision. Est-ce un vrai animé ?

Non, il a été créé spécialement pour le film ! J’ai moi-même écrit le scénario et c’est mon grand frère qui a conçu les personnages. Notre productrice, Mme Nishikawa Asako de Bandai Visual, produit aussi des films d’animation, elle a donc pu rassembler des techniciens et on a réalisé tout cela nous-mêmes.

On pense beaucoup au cinéma de Kore-eda devant The Long Excuse. Vous travaillez d’ailleurs avec Yamazaki Yutaka, qui était aussi directeur de la photographie sur After Life. Quelles indications lui avez-vous donné pour la lumière ?

After Life était vraiment le premier film sur lequel j’ai travaillé. Depuis que je connais M. Yamazaki, soit presque 20 ans, il me dit qu’il veut travailler avec moi. Et moi aussi, je voulais écrire un film qui puisse correspondre à son travail. C’est la première fois que je travaille avec des enfants. J’appréhendais d’ailleurs beaucoup le tournage. Même sans enfants, c’est déjà très difficile. Je me mettais beaucoup de pression et j’évitais d’écrire des scénarios avec des enfants. Je voulais surmonter cette appréhension avec ce film, qui était une sorte de défi. Il me fallait donc une équipe habituée à travailler avec des enfants. C’est le cas de M. Yamazaki, notamment avec Nobody Knows. Il tourne avec une caméra 16 mm, qui est plus légère qu’une caméra 35 mm. Grace à ça, il arrive à s’adapter au mouvement des enfants.

En ce qui concerne la lumière, je ne voulais pas qu’elle empêche le déplacement naturel des enfants. Je ne voulais surtout pas limiter le mouvement des acteurs. Par exemple, j’ai refusé que l’on change un éclairage qui était déjà existant et changer un espace de vie en espace de tournage. J’ai donc privilégié la lumière naturelle, il y a très peu d’éclairage artificiel dans le film. L’équipe était aussi réduite.

À propos de Kore-eda, il travaille comme votre personnage, en notant ses observations dans un petit carnet. Est-ce aussi votre façon de faire ?

Effectivement, moi aussi, je prends beaucoup de notes !  J’ai cette habitude, mais M. Kore-eda et moi utilisons maintenant beaucoup l’i-phone. Mais c’est vrai que les murs du bureau de Kore-eda sont recouverts de post-it remplis de notes. Moi aussi, je prends toujours un cahier lorsque je me déplace. Des idées arrivent toujours à des moments inattendus, par exemple dans un train, ou à un concert. Pour ne pas les oublier, j’ai toujours sur moi de quoi noter.

Le passage du temps est très important dans le film, comme on le voit à travers le passage des saisons, des cheveux qui poussent et des enfants qui grandissent. Combien de temps a duré le tournage et avez-vous tourné de manière chronologique ?

Le tournage s’est étalé sur 9 mois. Nous n’avons pas tourné pendant 9 mois, mais par exemple pendant 2 semaines au printemps, 2 semaines en été et 10 jours en hiver, avec 3 mois d’intervalle à peu près à chaque fois. On avait un budget limité, mais je tenais à avoir ce temps. C’était aussi pour montrer la manière dont les enfants grandissent. On a donc tourné quasiment chronologiquement car on ne peut pas tricher avec ça.

Pourquoi avoir choisi The Long Excuse comme titre ?

Lorsque je travaille sur quelque chose, j’écris souvent sans titre. J’ai beaucoup de mal à le choisir en général. Lors de l’écriture de ce roman, je décrivais un épisode amoureux de la vie de Sachio avec son ex-copine. J’écris : « une ex-copine m’a fait une longue excuse ». L’expression a fait tilt et j’ai coché cette partie sans me poser plus de questions que ça et j’ai continué l’écriture. Mais plus j’avançais, plus j’avais l’impression que le regret par rapport à ce qu’il a perdu correspondait vraiment à cette « longue excuse ». J’ai donc choisi cette expression comme titre, d’abord du roman, et ensuite du film. Ce n’est pas perceptible avec le titre international à cause des idéogrammes, mais en japonais, le titre contient le mot qui veut dire « éternel ». Lorsque dans le roman, Sachio parle des excuses, il évoque bien cette « longue excuse », mais pour le titre, j’ai choisi cet idéogramme d’éternité, afin d’avoir le sens d’«excuses éternelles ».

Quel est votre sentiment sur l’industrie du cinéma au Japon et comment vous situeriez-vous aus sein de celle-ci ?

C’est vrai qu’il y a de plus en plus de spectateurs et beaucoup de films produits. Mais les producteurs doivent avant tout suivre la logique des chiffres. Les films se ressemblent tous et naviguent entre deux extrêmes. Il y a des films autoproduits et indépendants sans argent, et des films à gros budget. Je pense que mes films se situent au milieu : on n’a pas un gros budget et il n’y a pas non plus beaucoup de stars dans mes films. Ce sont des films d’auteur. Et s’il y a de plus en plus de multiplexes, il y a de moins de salles pour les diffuser et leur permettre de fonctionner grâce au bouche à oreille. C’est de plus en plus difficile de garder son identité d’auteur dans ce contexte.

La production est aussi très centrée sur le marché local. Est-ce que vous pensez aussi à l’international quand vous réalisez un film comme The Long Excuse ?

Oui, je pense vraiment au marché international. C’est sans doute parce que j’ai grandi en regardant plus de films venant de l’étranger que du Japon. Je pense qu’il suffit de sous-titrer les films pour qu’ils soient exportables à l’étranger. Ce serait vraiment dommage de ne pas le faire. J’aimerais bien que mes films soient montrés, pas forcément dans un contexte commercial, ça peut être des festivals, dans le plus de pays possibles. Je ne pense pas forcement à la récupération du budget et à la production dans un sens commercial, mais j’essaie de faire en sorte que mes films soient connectés à d’autres pays.

Quels sont vos projets ?

Pour la première fois, je pense adapter le roman d’un autre auteur. Il s’agit de Mibun-cho de Saki Ryuzo, un auteur que Imamura Sohei avait déjà adapté avec Vengeance Is Mine. Le titre évoque une sorte de carnet de prisonniers, dans lequel est consigné tout ce qu’ils font. Le roman a 30 ans est n’est plus édité aujourd’hui. Je l’ai lu pendant la production de The Long Excuse et je l’ai trouvé passionnant. J’ai été choquée par le fait qu’il semble être oublié et que personne ne pensait à l’adapter. The Long Excuse était une œuvre trop proche de moi et je voulais prendre un peu de distance avec ce prochain film. Comme il a 30 ans, j’essaie d’adapter le roman à la société actuelle. Ce serait donc un scénario original car je réécris l’histoire.

Nous demandons à chaque cinéaste que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

J’admire Sidney Lumet et j’adore Le Verdict avec Paul Newman. Je citerai la dernière scène de ce film. Newman joue un avocat un peu désabusé qui travaille sur un procès. Pendant la préparation, il rencontre une femme jouée par Charlotte Rampling. Il pense qu’elle est son alliée alors qu’elle a été envoyée par la partie adverse. Il la quitte et gagne le procès. À la fin du film, elle l’appelle en sachant qu’il ne décrochera sans doute pas, et on voit Paul Newman. Et c’est la fin du film : on ne sait pas s’il décroche ou pas. J’aime bien ce genre de fin ouverte. On me demande aussi souvent par rapport à mes films ce qui se passe après… J’aime bien laisser l’histoire durer après la fin des films.

Propos recueillis par Victor Lopez à Paris le 12/11/2017.

Photos : DR Kinotayo.

Traduction : Megumi Kobayashi.

Remerciements : Megumi Kobayashi, Paul Mattiuzzo.

The Long Excuse de Nishikawa Miwa. Japon. 2016. En salles le 29/11/2017.

Présenté à la 12ème édition du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo. Plus d’informations ici.