BIFFF 2017 – The Village Of No Return, de Yu-Hsun Chen : Entre rire et obscurité

Posté le 10 juin 2017 par

Le Brussels International Fantastic Film Festival a toujours été éclectique dans sa programmation, et Taïwan y est régulièrement mis en avant. Cette année, The Village Of No Return, film à gros budget avec un casting de stars, était présenté hors-compétition en première européenne. Et on ne peut que remercier cette 35ème édition du BIFFF de nous permettre de découvrir cette œuvre qui pourrait avoir du mal à nous parvenir ailleurs qu’en festival ou en VOD.

Tous les éléments sont regroupés, au sein de The Village Of No Return, pour que le film soit un succès. Chen Yu-hsun, réalisateur du film, regroupe ici plusieurs stars, dont Eric Tsang qui, bien que peu présent, démarre et conclue le film avec un personnage charismatique et des séquences rocambolesques, et Shu Qi qui incarne un des personnages principaux. Elle offre charme et candeur à un protagoniste pourtant peu glamour sur le papier, et parvient à le rendre très attachant. A cela, le réalisateur ajoute beaucoup d’humour et de l’action, soignant le rythme du film. Pourtant, derrière la comédie farfelue mâtinée d’arts-martiaux, Chen Yu-hsun propose bien plus, avec un sous-texte d’une obscurité et d’une tristesse abyssale.

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Chen Yu-hsun est un réalisateur de publicité, qui a signé plusieurs longs-métrages (The Village Of No Return est son quatrième), dont Tropical Fish en 1995, mais aussi certains segments de films à sketches (10+10 entre-autre). Il s’occupe régulièrement du scénario de ses œuvres, et aime manifestement les comédies, comme le prouve Tropical Fish.

The Village Of No Return s’intéresse à une petite communauté. Un des habitants (plutôt simple d’esprit, mais c’est le cas de la plupart des protagonistes) est chargé de saboter les lieux en y déposant des explosifs. Si la mission discrète échoue, des criminels doivent être prévenus et attaquer le village. Plusieurs quiproquos provoquent la mort de l’espion, et l’arrivée d’un moine, muni d’une étrange machine, va compliquer les choses. Ce dernier, en effet, efface la mémoire des habitants pour devenir leur chef et en faire des esclaves dévoués, à la recherche de quelque chose d’enfoui sur place. Les bandits, de leur côté, vont essayer de comprendre ce qui se passe et d’attaquer.

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The Village Of No Return est tout d’abord une comédie. L’humour est surtout basé sur la stupidité des personnages et sur la candeur créée par la disparition de leurs souvenirs (mais même les gens qui ne sont pas affectés par l’appareil sont, pour la plupart, bêtes à manger du foin). Cependant, jamais la réalisation ou l’histoire n’est méprisante envers eux. Le spectateur, ainsi, peut se moquer d’eux, mais toujours gentiment, et l’humour se révèle plutôt bon enfant. Cependant, derrière le rire, derrière les situations cocasses, il y a la réalité de l’histoire, beaucoup plus sombre. Des gens se disputent un appareil capable d’effacer de manière sélective les souvenirs (aussi bien des traumatismes du passé que le fait d’avoir faim ou soif par exemple) et transforme les gens en esclaves quasi-décérébrés. Les personnes qui arrivent à se soustraire à la machine n’aspirent qu’à la contrôler pour transformer les autres en esclaves. Le film questionne immédiatement le spectateur sur sa capacité à rire de tout. Car The Village Of No Return est drôle, mais la plupart des gags, dès que le rire s’éteint, provoque la honte d’avoir ri, tant le propos derrière l’humour peut faire froid dans le dos. Le spectateur, voyeur, assiste à un film déployant des thématiques basées sur le désir de contrôle. Tous les personnages aspirent à devenir le chef de ce petit village, et, d’après le réalisateur, un esclave quittant sa condition d’esclave ne cherche qu’à asservir ses anciens co-esclaves. Chen Yu-hsun fait passer le propos en utilisant les ressorts de la comédie. Tout comme certains réalisateurs de films d’horreur peuvent utiliser les mécaniques du film de genre pour questionner la société (George Romero et ses films de zombis), Chen Yu-hsun maîtrise les mécaniques de la comédie bon enfant pour pointer du doigt les dérives de l’âme humaine, prête à toutes les bassesses pour un peu de pouvoir.

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Pour accentuer son propos et rendre dynamique son récit, Chen Yu-Hsun soigne tout autant la réalisation qu’il soigne son histoire. L’utilisation de la machine, qui permet de voir les souvenirs, se présente comme de vieux films presque mal animés, et les affrontements, très dynamiques, cherchent à iconiser les protagonistes (qui ont beau être stupides, certains se battent terriblement bien).

Chen Yu-Hsun, avec The Village Of No Return, offre un beau moment de cinéma populaire. Beaucoup d’humour et d’action permettent au film d’être potentiellement apprécié par le grand public. Derrière cette base, le film offre un propos bien plus sombre en questionnant sur ce qui fait un être humain (ses souvenirs, donc) et sur la nature humaine, qui pousse à profiter de son prochain et à l’exploiter en lui faisant croire que c’est pour son bien. Sous ses dehors de comédie légère, The Village Of No Return fait intelligemment froid dans le dos et pose de nombreuses questions, mais évite de se désigner en moralisateur et ne propose pas de solution. Il laisse chacun répondre en son âme et conscience pour savoir s’il peut rire de tout et à quel point il est horrifié par la nature humaine mise en avant ici.

Yannik Vanesse.

The Village Of No Return, de Chen Yu-hsun (2017). Projeté lors de la 35ème édition du Brussels International Fantastic Film Festival